LA FICELLE (d'après Maupassant)
Fortuné mais radin, maître Molivel *
Ramassait dans la rue un bout de ficelle
Quand un voisin jaloux, Guy Landry,
Bourrelier de son état, le surprit.
Molivel n’y prêta pas attention,
Fourra la ficelle dans son baluchon
Et rentra chez lui déjeuner.
Au dessert, Molivel ouvre la fenêtre
Pour mieux entendre l’avis du garde-champêtre :
-« Il est fait assavoir aux habitants
Qu’il a été perdu ce matin
Vers onze heures, sur le chemin
Qui mène de Beuzeville
À Goderville
Un portefeuille contenant six cents francs.
Si une personne le retrouvait,
Elle est priée de le rapporter
Incontinent à la mairie. »
L’instant d’après,
Le brigadier de gendarmerie
* En Normandie, on appelle un fermier : maître
Entrait dans sa salle à manger :
-« Maître Molivel, veuillez m’accompagner.
M. le maire veut vous questionner. »
Dès qu’il fut arrivé en mairie,
Le maire, gros homme pompeux, lui dit :
-« On vous a vu ce matin ramasser
Le portefeuille de maître Cossé… »
-« Qui ça qui m’a vu ? »
-« M. Landry vous a vu. »
-« I’ m’a vu ramasser c’te ficelle là. »
Il la retira de sa poche et la montra.
-« Mais M. Landry n’a pas pu se tromper… »
Molivel, furieux, cracha de côté.
-« Des menteries, tout ça !
Moi, j’ vous dis la sainte vérité. »
Il eut beau protester,
Le maire ne le crut pas, mais ne le retint pas.
Le lendemain, le valet de maître Breteuil
Ayant trouvé un portefeuille
Alla le rendre à son propriétaire,
Le comte de Bonnepierre.
Le mardi suivant, comme tous les mardis,
Molivel se rendit
À la foire de Buzeville.
Un fermier de Goderville,
Maître Deshaires l’aborda
Et lui dit :
-« Hé ! Vieille fripouille !
On la connait ta ficelle. Y en a
Un qui trouve et y en a un qui
R’porte. Ni vu ni connu, j’ t’embrouille ! »