Les éditions Detrad viennent de publier un ouvrage collectif intitulé OITAR 1974-2014, Renaissance d'une Franc-maçonnerie initiatique et traditionnelle.
Pour ceux qui ne connaissent pas, il n'est pas inutile de rappeler que l'acronyme OITAR signifie « Ordre Initiatique et Traditionnel de l'Art Royal » et que cette obédience maçonnique fondée à l'instigation de Jacques de La Personne (1926-2012) en 1974 entend privilégier une certaine dimension « compagnonnique ». Ainsi, les membres portent-ils des surnoms du style « Boulonnais, l'Ami du Trait »…
Sans vouloir débuter ici une polémique qui serait en l'occurrence d'une profonde stérilité (et pour cause !), il me semble important de préciser que ce rite et cette obédience ne possèdent en réalité aucun lien que ce soit avec la tradition compagnonnique. C'est de l'ordre du fantasmatique, des lectures mal digérées, et l'on sait combien les spéculatifs peuvent fantasmer quant aux opératifs…
L'ouvrage en question offre un historique de la genèse de OITAR et de ses quarante années d'existence. On peut supposer que cet historique est, quant aux faits relatés, d'une certaine précision.
En revanche, concernant justement la question du compagnonnage, un Pays m'a signalé une inexactitude qui m'oblige ici à une mise au point quelque peu désagréable.
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En effet, page 218, dans le cours d'un chapitre intitulé « Le Compagnonnage comme point central de nos degrés bleus », signé de Jean-Marie Lupart, mon nom est cité avec la mention de la qualité de « Compagnon du Devoir », ce qui est une erreur. Je suis historien des compagnonnages, mais non Compagnon. Il est par ailleurs mentionné que je suis franc-maçon et, c'est flatteur, que je suis une « référence sérieuse pour tout ce qui touche le Compagnonnage ». Et ces mentions ouvrent à la citation suivante de mes propos :
« Lors de la fabrication par Jacques de La Personne du Rite Opératif de Salomon, le fait même que les sources soient, non pas réellement compagnonniques et provenant de tailleurs de pierre opératifs, mais livresques et extérieures aux compagnonnages traditionnels, ce fait est signé par la coexistence de termes comme “Cayenne” et "Appareilleurs”… Les Compagnons tailleurs de pierre, Passants comme Étrangers, n'employaient pas ces termes pour ce qui est de leurs rites. »
Point. On pourrait croire, l'espace d'un instant, que cette citation éminemment critique va conduire l'auteur à totalement réviser son jugement quant à la valeur des couillonnades pseudo-opératives du Rite Opératif de Salomon… Eh bien non ! Un paragraphie plus loin, après avoir en plus rappelé que le F. Daniel Béresniak (membre de OITAR) avait justement précisé à deux reprises combien les Compagnons du Devoir étaient très critiques vis-à-vis de la franc-maçonnerie (en général, et non vis-à-vis de OITAR en particulier), voici notre spécialiste ès-compagnonnage OITARien qui déclare, le plus sérieusement du monde :
« Peu importe, ce qui compte est que l'atmosphère soit créée et que l'Apprenti s'y croit… Et que le Maçon y croira à chaque fois qu'il entrera en Cayenne [c'est-à-dire en Loge, mais c'est bien plus seyant avec ce terme un peu apache] pour assister à une tenue du second degré. »
On croit rêver ! Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère ? Le compagnonnage réduit à une atmosphère mensongère, pour aider l'Apprenti puis le Compagnon sur le chemin de vérité qu'est l'initiation…
Il est symptomatique quant à la difficulté de OITAR à abandonner clairement toute prétention à un lien réel avec le compagnonnage, de constater combien la citation qui est faite de mes propos relève de l'instrumentalisation. Qui plus est, on remarquera qu'il n'est pas indiqué duquel de mes travaux elle provient. Normal… ce n'est pas un de mes articles publics mais la citation d'un extrait de courriel privé que j'ai adressé à Jean-Marie Lupart suite à une question qu'il m'avait posée ! De fait, il me semble intéressant de reproduire ici notre échange, intégralement, afin d'éclairer la manière dont se fabrique le capital de connaissances de OITAR quant au compagnonnage :
Le 16 déc. 2012 à 12:37, Jean-Marie LUPART a écrit :
Je cherche à savoir d'où vient l'appellation « Cayenne » ? Vous notez vous-même que c'est d'une apparition récente puisqu'avant c'était la... « Chambre » (pas du Milieu !).
Aucun de mes dictionnaires (Larousse en 2 vol. — Robert en 6 vol. — Littré en 7 vol. — Dictionnaire culturel d'Alain Rey — Dictionnaire historique de la langue française du même...) ne donne cette définition du mot « Cayenne » si ce n'est le Larousse in extenso en 5 vol. : « Siège urbain des compagnons du tour de France, où ils étaient hébergés et avaient leur salle de réunion ». Rien sur l'étymologie bien sûr — si ce n'est que cela viendrait de Cayenne (nom propre).
Je suis maçon et travaille au Rite Opératif de Salomon dans lequel le 2° degré s'appelle « cayenne » et les surveillants « Appareilleurs »... Si vous pouviez m'en dire un peu plus sur ces deux termes ou me diriger vers une piste (livre, document, personne...), cela m'aiderait bien dans mes recherches. […]
Le 20 déc. 2012 à 18:45, Jean-Michel MATHONIÈRE a écrit :
[…] pour être précis, ce n'est pas que "Cayenne" soit une apparition récente dans les compagnonnages, c'est que son emploi qui était auparavant la caractéristique des sociétés de charpentiers et de couvreurs, s'est étendu au cours du XXe siècle à d'autres sociétés, tout d'abord par simple commodité de langage verbal (c'est-à-dire en conservant dans le vocabulaire écrit le terme de "Chambre"), probablement à cause de la consonance quelque peu "apache" que cela avait, puis par "pollution" pure et simple dans quelques corps.
Pour ce qui est de l'origine du terme, c'est un terme de marine qui provient du bas-latin "caya", cabane, maison. Les Compagnons Passants charpentiers ont beaucoup emprunté au vocabulaire et pratiques des garnisons.
Appareilleur est un terme technique du métier de tailleur de pierre et désigne celui qui, plus expérimenté que les autres, a en charge le traçage de la coupe des pierres et donne les instructions de taille aux ouvriers.
Lors de la fabrication par Jacques La Personne du Rite Opératif de Salomon, le fait même que les sources soient, non pas réellement compagnonniques et provenant de tailleurs de pierre opératifs, mais livresques et extérieures aux compagnonnages traditionnels, ce fait est signé par la coexistence de termes comme "Cayenne" et "Appareilleurs"… Les Compagnons tailleurs de pierre, Passants comme Étrangers, n'employaient pas ces termes pour ce qui est de leurs rites.
Soit dit fraternellement mais clairement, le Rite Opératif de Salomon est un rite qui ne possède absolument aucun rapport avec le compagnonnage ou avec les authentiques loges opératives. […]
Le 20 décembre 2012 à 21:06, Jean-Marie LUPART a écrit :
[…] OK pour « Cayenne » et « Appareilleur »...
Comme la Fraternité ne peut aller, à mon humble avis, qu'avec la clarté, je suis assez convaincu que le savoir compagnonnique de Jacques La Personne était livresque (très certainement uniquement comme tu le soulignes) — ce qui n'enlève rien pour moi au charme du Rite Opératif de Salomon ! Mais il est toujours bon de connaître les sources des fondateurs : c'est plus facile pour éviter les gonflements des chevilles ou pour raconter n'importe quoi.
Je ne manquerai pas de signaler cet état de fait dans mon topo ne serait-ce que pour désacraliser... […]
En conclusion, je soulignerai une nouvelle fois combien le thème Franc-maçonnerie et Compagnonnage génère des incompréhensions et des fantasmes. Si malheureusement les Compagnons, de tous Devoirs, brillent souvent par un anti-maçonnisme primaire, il faut reconnaître que face à la bêtise et à la mauvaise foi dont font preuve certains spéculatifs, il est quelquefois difficile de leur en vouloir…
J'ai dit…
L'homme pense parce qu'il a une main. Anaxagore (500-428 av. J.-C.)