Henri Vernet, rédacteur en chef adjoint au Parisien, est l’ un des meilleurs observateurs de la vie politique Française. Il balaie en exclusivité pour Délits d’Opinion la seconde phase du quinquennat de François Hollande et revient sur la fronde des 41 députés socialistes.
Délits d’Opinion : Nomination de Manuel Valls en tant que Premier ministre, plan d’économie de 50 milliards suivi d’un vote à l’Assemblée Nationale : peut-on parler d’une clarification dans le quinquennat de François Hollande ?
Henri Vernet : Oui, ce vote fait office de clarification même si l’objectif de ce vote consultatif n’était pas celui-là. En réalité, nous vivons un moment probablement historique dans l’histoire du Parti Socialiste. Ce dernier, contrairement à son homologue Allemand n’a jamais fait son Bad Godesbarg, c’est à dire son tournant assumé de sociale-démocratie.
Le Parti Socialiste français a fait sa mue de façon beaucoup plus sinueuse, à travers des semi-aveux. Quand Lionel Jospin était au pouvoir entre 1999 et 2002, la gauche réformiste était très majoritaire au sein de l’Europe. Les sociaux-démocrates étaient notamment au pouvoir en Allemagne ou au Royaume-Uni.
Mais Lionel Jospin, lorsqu’il était invité avec ses homologues de gauche, prenait toujours soin de montrer ce qui le séparait des politiques sociales démocrates.
Durant le quinquennat de François Hollande, la mue s’est opérée par petites touches. Le premier socialiste à s’inscrire dans la lignée sociale démocrate a été Pierre Moscovici, au détour d’une interview au tout début du quinquennat
François Hollande avait également marqué le centenaire du SPD en Allemagne de sa présence, façon symbolique de souligner dans quel cadre il souhaitait se placer. Mais cela était davantage un signal. Il fallait l’interpréter.
Il n’a réellement sauté le pas que lors de sa conférence de presse le 14 janvier, assumant nommément une ligne sociale-démocrate. Enfin, la nomination de Manuel Valls a beaucoup joué dans la clarification. L’actuel Premier ministre incarne ouvertement ce positionnement depuis longtemps, notamment depuis les primaires socialistes en vue de la présidentielle de 2012.
Délits d’Opinion : Pourquoi cette clarification s’impose t-elle aujourd’hui ?
Henri Vernet : Je pense que c’est d’abord un choix profond. Cette politique de l’offre correspond fondamentalement à la pensée de François Hollande qui s’inscrit dans les pas d’un Delors. Mais ce choix est également dicté sous la pression de Bruxelles.
Délits d’Opinion : Quelles sont les conséquences politiques de cette clarification ? Que vont devenir les 41 frondeurs ?
Henri Vernet : Il y a clairement une scission en germe. Il est en effet incontestable qu’il y a un divorce entre Hollande, Valls d’une part, et une partie du PS d’autre part. Cette frange d’opposants est actuellement de 41. Mais son potentiel est beaucoup plus élevé.
Ceux qui n’ont pas voté l’ANI étaient une vingtaine. Et n’oublions pas que parmi l’appel des frondeurs qui appelaient une autre politique avant le discours de politique générale de Manuel Valls, se trouvaient 80 députés. Il y a aujourd’hui une frange de députés socialistes potentiellement sécessionnistes qui peut se situer entre 40 et 100 signataires.
En son sein, on retrouve bien-sûr la gauche du PS, et les aubrystes. Et parmi eux, le mari d’Anne Hidalgo, Jean-Marc Germain. Ce dernier va certainement faire beaucoup plus parler de lui dans les mois à venir. Ce qui confère à ce couple un vrai pouvoir au sein de la gauche. Je prends le pari que dans les mois qui viennent, Jean-Marc Germain va s’affirmer avec ce double parrainage Hidalgo-Martine Aubry qui ne peut que renforcer l’intérêt des médias à son égard.
Mais, parmi les opposants intérieurs à la politique sociale-démocrate, il y a aussi des anciens du clan DSK, ou des nouveaux élus qui ne sont affiliés à aucun clan et ne sont franchement pas des gauchistes.
Pour ces députés, l’idéologie du PS doit être du côté du pouvoir d’achat, des plus modestes, des classes moyennes. Or, ils estiment qu’avec la politique de François Hollande et Manuel Valls, ils sont en train de perdre cette catégorie après avoir déjà perdu les classes populaires.
Mais il y a aussi des raisons opportunistes. Ces députés, constatant que l’attelage tangue, craignent pour leur réélection. Ils voient donc dans cette ligne abstentionniste un moyen de prendre leurs distances avec des mesures impopulaires.
Au delà de cette fronde la question est simple : est-ce que le parti peut imploser ? Cambadélis en arrivant à la tête du PS, a promis des états généraux. Si chacun vient avec ses doléances, ses doctrines, parfois très dures, comme par exemple Marie-Noëlle Lienemann, le risque d’une coupure au sein du PS n’est pas à écarter. Et donc le risque d’une dissolution constitue une vraie menace pour le PS. Car, il y a clairement aujourd’hui au PS deux lignes irréconciliables.
Délits d’Opinion : A trois semaines du scrutin européen, peut-on dire que le Front National soit le seul parti anti-européen ?
Henri Vernet : Il existe clairement un champ inoccupé depuis le départ de Philippe de Villiers. Un espace que Nicolas Dupont-Aignan peine à réellement préempter. Ce parti est clairement plus dur à identifier, même s’il creuse son sillon. Dupont-Aignan fait toujours des scores canons dans sa ville. Il a une vraie assise locale Mais il demeure perçu comme assez poli, assez formaté, venant de l’appareil RPR. Et pourtant Dupont- Aignan a des propos très durs sur l’Europe, sur la classe politique, parfois c’est à la limite de diffamation. Il est dans une logique de clash avec les journalistes. Mais cela ne colle pas au physique de l’homme. Or, je pense que cela joue beaucoup. La politique c’est aussi une question de représentation.
Délits d’Opinion : Le FN est-il voué à remporter les élections ?
Henri Vernet : Concernant le FN, ce que me frappe, c’est que Marine Le Pen tape énormément sur l’Europe, sur l’euro, mais que les électeurs ne souhaitent pas réellement sortir de l’euro. C’est toute l’ambiguïté des électeurs de Marine Le Pen.
Marine Le Pen déclare protéger les Français contre les méfaits de l’Europe : or, il semble bien que pour les Français, l’Europe malgré tout les protège. Et c’est peut-être une limite de Marine le Pen. Sur le terrain économique, les Français ne valident pas son programme.
Malgré tout, c’est elle que l’on entend avec une forte capacité à surfer sur les peurs ambiantes. Une angoisse qui n’est pas qu’économique. Le sentiment anti-européen c’est aussi la peur de se voir imposer d’autres modèles, d’autres normes. Le discours sur les Roms se nourrit de cette peur, de ce sentiment de dépossession, d’être dominé par des plus grands que nous, de se voir imposer un modèle libéral, européen. Cette doxa dominante en Europe n’est pas celle des Français. Marine le Pen capitalise dessus.
Concernant le résultat final qu’elle pourrait atteindre, je vois certes les sondages qui la placent en tête, mais je ne suis pas convaincu. J’ai l’impression que l’UMP, malgré un discours hétéroclite sur l’Europe peut lui tenir tête. Et, je ne vois pas pour quelles raisons l’UMP échouerait là où elle a réussi de façon un peu inattendue lors des élections municipales.
Une chose enfin me frappe : le slogan de l’UMP sur les européennes est très calqué sur le slogan de l’Europe de Marine le Pen. Le slogan de l’UMP est le suivant : « pour la France, agir en Europe ». Et dans ce slogan, il y a à la fois l’Europe et la France, il n’y a surtout pas que l’Europe. Or, à l’origine, Alain Lamassoure qui est extrêmement compétent sur la question européenne, voulait un slogan différent : « prenons le pouvoir en Europe ». Mais ce n’est pas celui qui a été retenu, précisément pour occuper le terrain face au Front National. C’est Copé qui a tranché d’ailleurs. Ainsi l’UMP se donne toutes les chances de réaliser un bon score sans abandonner totalement le champ souverainiste au FN.
Délits d’Opinion : si l’on évoque enfin 2017, croyez-vous à l’hypothèse Juppé ?
Henri Vernet : Certes, ces dernières années, on a vu le retour en grâce des vieux sages, Fabius ou Juppé précisément, mais c’est aussi parce que les plus jeunes ont donné une image déplorable. A droite avec une UMP qui se déchire, à gauche avec les couacs incessants. Et quand on discute en privé avec les anciens ministres de Mitterrand ou Jospin, il se montrent déçus voire consternés par le manque de préparation, de professionnalisme de certains ministres, voire de leurs cabinets. Valls va d’ailleurs un peu changer la donne.
Pour autant, Je ne crois guère au retour de Juppé. Il est vrai que sont image s’est bonifiée avec le temps, ses prises de position sont des vraies positions de droite sociale, qui peuvent plaire. Que ce soit au niveau économique et social, en matière de tolérance, il est celui qui a eu le discours le plus posé, notamment. Par ailleurs, il n’a pas écorné son image dans une guerre d’ambition comme l’a fait Fillon.
Mais imaginons que la droite n’ait que Juppé à proposer en 2017. Les critiques de 1995, les soupçons d’autoritarisme vont resurgir de façon quasi-immédiate. Les Français n’ont pas la mémoire courte. Reviendra l’image d’un ministre tellement droit dans ses bottes qu’il ne voulait pas bouger face à l’opinion. Quand on parle à Juppé de tout cela, mais aussi de son âge, il répond : « en 2017, j’aurai l’âge de Mc Cain ». C’est à dire 72 ans. Mais précisément, Mc Cain a perdu.
Du coup pour moi Juppé est une option très hypothétique. Alors certes, on parle d’un pacte avec Bayrou. De même qu’il y avait le pacte de Marrakech, il y aurait à droite le pacte Bordeaux-Pau, Mais je serais Juppé, je me méfierais de Bayrou. Car autant j’ai du mal à croire au « revival » de Juppé, autant j’ai peine à croire que Bayrou va renoncer à la présidentielle. Bayrou connaît un renouveau. Un boulevard s’offre à lui. Il renait avec le départ de Borloo. Il renait avec son élection à Pau. S’il y a un ticket Juppé-Bayrou, je pense qu’à la fin ce sera Bayrou président. Jamais ce dernier ne renoncera à son rêve.
Mais, d’ici 2017 il peut se passer beaucoup de choses. La leçon de 2012, c’est que la vie politique s’est totalement accélérée. N’oublions pas qu’en 2008 Hollande était mort, et en 2010 DSK se voyait déjà assis sur le trône Présidentiel.