La passion des croix

Publié le 06 mai 2014 par Dubruel

DÉCORÉ ? (d'après Maupassant)

Depuis son enfance,

Pierre Gence

N’avait en tête qu’une seule idée :

Être décoré.

À quatre ans déjà, Pierre arborait

Une croix de Légion d’honneur en fer blanc

Adolescent,

Pierre souffrait encore

De ne pas avoir à exhiber

Un petit ruban de couleur. Alors,

Comme par une sorte de compensation,

Il comptait les décorations

Portés par les passants.

I comparait aussi les quartiers.

Rue Notre-Dame des Champs :

Huit officiers et dix-sept chevaliers ;

Par contre, boulevard Berthier,

Il y avait très peu de décorés.

Et rue de Passy,

Pierre en compta plus de dix.

À vingt ans, Pierre épousa une jolie fille,

Mademoiselle Jeanne Mabille.

Quand celle-ci

Apprit que son mari

Cherchait une raison

Pour se faire décerner une décoration,

Elle lui demanda :

-« Qu’est-ce que tu as fait pour cela ? »

-« Rien. Que pourrais-je bien faire ? »

-« Si tu en parlais à notre ami, le député Rivière,

Il te conseillerait de façon avisée. »

-« Je n’ose pas, tu sais…

Je suis timide…Pour moi,

…C’est assez délicat.

Par contre,… si tu voulais,… toi… »

Jeanne accepta.

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Le député promit à Jeanne d’en parler

Au ministre concerné.

Il reçut Pierre dans son cabinet.

Et lui a demandé

Les titres et les diplômes qu’il possédait.

Pierre n’était pas même bachelier.

Alors Rivière va le charger d’améliorer

Le classement

Des livres de la bibliothèque municipale.

Puis le député va lui procurer

Un poste de surveillant

Au lycée de Laval.

Un vendredi soir, Pierre prend le train de Paris

Pour rentrer chez lui.

Comme il le fait chaque fin de semaine.

Mais ce jour-là, voici la scène :

Pierre trouve sa chambre fermée à clé :

-« Jeanne, c’est moi ! »

-« Pierre, c’est toi ? »

Derrière la porte, il entend parler…

Mais n’y prête pas

Plus attention que ça

Car Jeanne lui ouvre : -« Amour, quel plaisir ! »

Pierre commence à se dévêtir

Quand il voit un manteau sur le lit :

-« Mais ce n’est pas le mien, chérie !

Car un ruban rouge orne la boutonnière ! »

-« Écoute…Tu es enfin décoré

Mais c’est un secret ;

Ce manteau, je viens de te l’acheter.

Je ne devais pas te le montrer

Car ta nomination

Ne sera officielle que dans un mois

…Quand ta mission

…À Laval …sera terminée.

…C’est M. Rivière qui l’a obtenue pour toi. »

Pierre saisit aussitôt

Le manteau,

Le presse contre sa joue,

L’embrasse, le caresse, l’admire.

Il saute de joie.

Il veut s’en vêtir,

Et c’est alors que la carte de visite du propriétaire,

Ayant malencontreusement glissé,

Tombe par terre !

Dans un réflexe mensonger,

Jeanne lui affirme : -« Je te l’ai dit ; tu vois.

Le député Rivière

M’a annoncé la nouvelle hier.

Ta décoration, tu l’as ! »

Huit jours plus tard, le Journal Officiel

Publiait : M. Gence Pierre-René,

Ancien déporté,

Est nommé Chevalier de la Légion d’honneur

Pour services exceptionnels.

Désormais, Pierre nage dans le bonheur.