Il faut être honnête il y a peu d’œuvres qui bouleversent par leur beauté, par leur sujet ou par leur monumentalité. Etre bouleversé, c’est un peu comme être ébloui. Ebloui par l’aura de l’œuvre, par ce que dégage l’enveloppe artistique d’un objet. A ce moment là, l’œuvre reste en tête et nous suit.
L’exposition qui se tient actuellement au musée du Louvre sur le trésor de l’abbaye Saint-Maurice-d’Agaune montre des œuvres qui ont le pouvoir d’éblouir et qui bouleversent.
Pas évident de passer les portes du plus grand musée du monde pour aller voir une exposition sur un trésor médiéval. Il est vrai qu’il y a plus attractif comme sujet. Et pourtant… Pourtant ce serait une erreur que de rater la possibilité de voir des objets cachés du public habituellement et qui, à l’occasion de la rénovation de pièces du trésor, sont visibles.
L’espace muséal est organisé de manière on ne peut plus classique. Il s’ouvre sur une présentation des lieux avec maquettes et images vidéo qui permettent au visiteur de comprendre où séjournent habituellement les objets qui vont suivre. Puis vient la présentation du trésor, chronologiquement, du Haut Moyen Âge à la fin de la période gothique. Aborder la constitution d’un trésor d’abbaye peut difficilement se faire autrement que d’un point de vue chronologique. Tout trésor connaît une apogée, fréquemment à la période romane et autour de 1200 lorsque les reliques se multiplient et que les abbayes s’enrichissent de dons financiers et mobiliers. De même, la majorité décline aux Temps modernes, victime parfois de ventes à l’instar des moines de Saint-Denis, vendant un saint Jean en argent doré pour payer leur boucher…
La beauté et l’importance du trésor de Saint-Maurice d’Agaune réside en particulier dans la première phase : le Haut Moyen Âge. Loin de moi l’idée de déconsidérer les périodes suivantes où des objets somptueux, comme le Reliquaire de Saint-Candide, pour ne citer que lui, se dressent dans les salles. Ici, le saint nous regarde avec une douceur dans le regard mais une froideur aussi, accentuée par la moue de ses lèvres, presque dédaigneuse.
Chef reliquaire de saint Candide © Abbaye de Saint-Maurice d'Agaune. Photo de Jean-Yves Glassey et Michel Martinez
Mais au-delà du somptueux, certaines œuvres du trésor sont exceptionnelles.
L’aiguière dite de Charlemagne est à mon sens la pièce la plus remarquable de l’exposition. La profondeur des couleurs frappe l’œil, la fusion des influences (orientale pour les griffons, antique pour les palmettes, égyptienne pour les lotus…) reste énigmatique. D’un point de vue technique, les émaux arrondis de la panse sont une prouesse, en particulier pour une œuvre du IXe siècle. Pièce singulière dans l’occident médiéval, cette aiguière est un chef-d’œuvre à ne pas louper.
Aiguière dite de Charlemagne, milieu du IXe siècle ? Emaux, Abayye de SaintMaurice d'Agaune © Trésor de l'Abbaye de Saint-Maurice. Jean-Yves Glassey et Michel Martinez
Le trésor est unique du fait de sa conservation. La plupart furent éclatés, vendus, fondus à la Révolution et extrêmement rare sont ceux qui nous sont parvenus. Saint-Maurice d’Agaune offre la possibilité de comprendre le sens d’un trésor médiéval. On y retrouve toutes ses composantes : objets liturgiques, chartes, tissus de reliques… Cette exposition s’inscrit dans un cycle amorcé par le musée du Louvre sur les trésors (Trésor de la Sainte-Chapelle en 2001 ou de Conques en 2002). Muséographiquement il est intéressant d’aller voir des objets cachés que le commissaire de l’exposition doit alors montrer au public et donc détourner de leur fonction première.
L’événement mérite le détour, non pas tant pour son originalité muséographique mais surtout pour ses œuvres qu’on aimera admirer visuellement, permettant alors un voyage dans le temps.