Par Louis MoriceVoir tous ses articles
François Hollande estime que le "retournement économique arrive". Economiste à l'OFCE, Marion Cochard confronte les annonces du chef de l'Etat à ses prévisions. Interview.
A la tête de l'Etat depuis deux ans, François Hollande prévoit un retour de la croissance en France dès cette année et promet que cette nouvelle phase permettra une redistribution de pouvoir d'achat. Economiste à l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), Marion Cochard confronte les annonces du chef de l'Etat à ses prévisions. Interview.Le "retournement économique" annoncé par François Hollande relève-t-il de la volonté performative ou repose-t-il sur des éléments concrets ?- Ses prévisions de croissance collent à peu près avec ce que nous avons à l'OFCE : si on intègre les annonces du discours de politique générale, nous sommes sur une prévision de croissance à 1% en 2014 et 2% en 2015.Peut-on alors parler d'une sortie de crise ?- Cela fait tellement longtemps qu'on n'a pas eu des taux de croissance de ce type-là qu'on a l'impression que tout va bien. Maintenant, si on se replace dans les crises qu'on a connu précédemment, une croissance de sortie de crise, c'est plutôt 2,5 / 3%. Aujourd'hui, cela paraît de la préhistoire. Mais dans des pays comme les Etats-Unis, les taux de croissance sont beaucoup plus élevés. Enfin, on retrouve une croissance positive, c'est une bonne nouvelle.Est-ce suffisant pour créer des emplois ?- 1,2% en 2014, on sort de la dégradation dans laquelle on était, à ce niveau, mais le chômage continue à augmenter. La France a toujours une productivité très dégradée et il faut à peu près 1,4% de croissance pour faire baisser le chômage. 2014 sera l'année où la croissance revient mais pas suffisamment pour une franche reprise.Existe-t-il une part psychologique dans les résultats de la croissance ?- A partir du moment où les carnets de commandes sont vides, les entreprises ont des marges dégradées et on impose des politiques d'austérité dans toute l'Europe, on a beau avoir des discours positifs, on n'en a jamais montré l'impact. Essayer de peser sur l'anticipation, c'est pourtant important, notamment dans une période où on est à la limite de la déflation ! Si les agents commencent à anticiper de la déflation, elle se met en route et c'est très difficile d'en sortir. Ce qui est plus important que le discours de François Hollande, c'est celui, par exemple, de la Banque centrale européenne.Après deux ans de présidence de François Hollande, peut-on mesurer l'impact de la politique gouvernementale ?- Ça a été une politique d'austérité drastique en 2013, encore en 2014 et jusqu'en 2017, ça pèse sur la croissance. Tous les budgets qui ont été votés par ce gouvernement sont des budgets récessifs. Ce sont d'ailleurs des budgets du même type que ceux votés sous Nicolas Sarkozy. Nous avons mesuré cet impact : en 2014, pour nous, la politique budgétaire du gouvernement coûterait 0,9 point de croissance à la France. Avec une politique budgétaire neutre – sans dépenses supplémentaires et sans austérité – on aurait pu avoir plus de 2% de croissance.Des emplois aidés au pacte de responsabilité, le gouvernement a pourtant une action volontaire sur l'emploi. Cette politique peut-elle jouer sur le redémarrage et la création d'emplois ?- Tout a fait. Le problème est que la conjoncture était tellement mauvaise que cela a permis d'atténuer un petit peu l'augmentation du chômage mais il aurait fallu en faire beaucoup plus pour inverser la courbe. En 2014, ce sera la même chose : on va vers une stabilisation du chômage à la fin de l'année, en partie grâce à ces emplois aidés. Ensuite, l'inversion de la courbe, on peut l'espérer pour 2015. Il y aura alors beaucoup de choses, notamment la première partie du pacte de responsabilité, cela va se cumuler à la montée en puissance du CICE. Il y a un certain nombre de mesures annoncées par Manuel Valls qui vont donner de la croissance et créer de l'emploi.On a parfois l'impression que les différents gouvernements peinent à peser sur la conjoncture économique. Existe-t-il une forme d'impuissance ?- Pas vraiment. Ce n'est pas très compliqué de peser sur la conjoncture ! Ne serait-ce qu'avoir une politique budgétaire neutre. On aurait pu attendre avant de faire de l'austérité budgétaire ou, en tout cas, on aurait pu l'étaler davantage. Si cela avait été le cas, on aurait eu beaucoup plus de croissance. Il y a un impact direct de la politique budgétaire sur la croissance. On l'a vu en 2010 et 2011 : la croissance commençait à redémarrer. On l'a déjà oublié parce qu'on était dans des zones avec des politiques budgétaires qui s'étaient stabilisées. Ça a rechuté en 2012 parce qu'on a commencé à faire de l'austérité de manière beaucoup trop brutale et beaucoup trop rapide. Le problème, c'est que la France a un certain nombre d'impératifs dictés par Bruxelles. L'ensemble des gouvernements européens ont accepté les objectifs de Bruxelles.Il existe donc un vrai enjeu européen ?- Jusqu'ici, les gouvernements européens n'ont pas réussi à faire flancher la Commission européenne. C'est le gros enjeu des prochaines élections européennes. Les gens doivent se rendre compte à quel point ces élections sont plus importantes que celles qu'on a eu jusqu'ici. Alors que les moyens d'influer sur la conjoncture existent, on a dû mal à les activer parce qu'on est engagé par Bruxelles. L'impact de l'austérité sur la croissance a été extrêmement important : cela nous a plongés dans deux années decroissance nulle avec un chômage qui a recommencé à monter. La question est maintenant de savoir si on continue comme ça ou si on se donne un peu plus de temps pour atteindre les objectifs.Propos recueillis par Louis Morice - Le Nouvel Observateur