Au milieu de cet immense univers, une planète. La Terre. Sur cette planète, un pays. La France. Dans ce pays, une région. La Franche-Comté. En cette région, une ville. Belfort. Les yeux levés au ciel, Eddy est soudain pris d’un vertige. Il y en a tellement, d’étoiles. Comme il y en avait jadis tellement, de possibilités. Pour qu’il soit là, aujourd’hui. Au pied de ce Lion qui ne le fait plus frémir. Aux côtés de cette fille qui ne le fait plus vibrer. Enlisé dans cette vie aux rouages trop bien huilés. Où le quotidien a pris le pas sur la folle aventure promise.
Les yeux au ciel. Vers ces étoiles qui ne sont déjà plus, son esprit tangue vers un hier encore prometteur. Il y avait cette fille. Un peu délurée et tellement belle. Aux côtés de laquelle il avait croqué la vie à pleines dents. Avait entamé une folle aventure, celle de la vie. Avait vécu ses premières fois. Premiers émois. Premiers ébats. Premiers tracas. Il y avait cette fille. Qui avait fait chavirer sa vie d’un battement de cils. Qui lui avait tendu la main pour rejoindre ses rêves enfouis. Qui avait semé dans sa vie une dose de folie. Cette dose de folie qui lui manque aujourd’hui. Il y avait cette fille. Auprès de laquelle il était en vie.
Devant l’écran de l’ordinateur, Eddy tape sur le clavier frénétiquement. La recherche Google affiche moult réponses. 175 000 résultats, précisément. En 0,29 seconde. Il clique sur le premier lien qui lui fait de l’œil. Emilie Joly Profiles | Facebook. Son doigt glisse sur la molette de la souris pour découvrir tous ces visages qui portent le même nom. Et, soudain, il la reconnaît. Elle. Son Emilie Joly à lui. Il clique. La nouvelle page qui s’ouvre le laisse découvrir ce visage familier que le temps aura épargné. Aussi belle qu’hier, elle affiche cette même moue réservée qu’il lui connaissait. Originaire de Grenoble. Aucun doute, c’est bien elle. Habite à Bordeaux. Qu’est-ce qui a bien pu la mener là-bas ? Les études ? Le travail ? Ou… Eddy frémit. Situation amoureuse : Marié(e). Ou l’amour. Il y avait cette fille.
Il consulte les quelques photos accessibles au public. Un mec qui l’énerve déjà, avec son air de mec parfait. Avec son p’tit chapeau. Avec son p’tit manteau. Avec sa p’tite auto. Des marmots, les yeux qui pétillent. Elle. Qui n’a pas pris une ride. Avec ce même sourire, pétri de sincérité. Ce sourire qui semble, encore aujourd’hui, lui être adressé. À lui. Son cœur bat soudain fort. Très fort. Aussi fort qu’avant. Ce cœur que l’on ne percevait plus jusque-là. À se demander s’il était toujours en vie, Eddy. Il se retient de cliquer sur Message, se dirige vers la cuisine pour se servir un verre de n’importe quoi. De n’importe quoi qui aurait du goût et quelques degrés. Par précaution, il prend avec lui la bouteille. On ne sait jamais.
Devant l’écran de l’ordinateur, le cœur d’Eddy s’emballe. Frémit, vibre enfin. Il y avait cette fille. Et, aujourd’hui, il suffirait d’un clic pour relier hier et aujourd’hui. Hier et demain. Il suffirait d’une seconde de folie pour lui faire parvenir cette bouteille à la mer qu’il camoufle depuis des années. Derrière ce masque par lequel le monde le distingue. Cette bouteille à la mer d’un Help me, avant que je n’en crève. Il suffirait d’une seconde incertaine où le nectar qui l’enivre le porterait vers d’autres chemins que celui qu’il ne connaît que trop. Il suffirait… Clic. Votre message a bien été envoyé. Et, merde. Supprimer la conversation. Non, ça n’a jamais existé. Non, il n’a jamais rien envoyé. Et la vie, demain, suivra son cours. My way. Il y avait cette fille. Tululut. Il y a cette fille qui a déjà répondu. Et le chiffre 1, cerné de rouge, lui saute aux yeux aux côtés de sa bulle. Non, il n’a rien envoyé. Non, elle n’a pas répondu. Clic. Le message s’affiche devant ses yeux. Eddy, J’ai longtemps espéré recevoir ces mots-là de ta part. Par la poste, un pigeon voyageur, ou n’importe quoi. Tu sais, je n’ai jamais cessé de penser à toi. À Nous. Ce Nous que je n’ai jamais plus effleuré depuis toi. Comment vas-tu ? Comment va Nous ? Je t’embrasse fébrilement. Emilie. Elle a répondu.
Fiévreusement, Eddy saisit sa plus belle plume. Son vieux clavier dont les lettres commencent à s’effacer, en fait. « Ma Belle Emilie, Je m’excuse déjà de m’imposer ainsi. Je n’en avais pas le droit, je le sais. Mais le temps d’avant me manque, tu sais. Toi, tu me manques. Ta folie, ta douceur… Dis-moi que tu es heureuse dans ta vie, et demain te murmurera que ces mots n’ont jamais existé. Dis-moi que Nous te manque, et Demain me verra déjà à tes côtés. Je t’embrasse, si tu le souhaites. Eddy. » Clic. Et déjà il regrette.
Elle frémit. Il a répondu à ses mots qui semblaient déjà dévoiler un peu trop. D’elle. De sa nostalgie latente. De son quotidien qui empeste le prévisible. De son demain qui ne chante jamais qu’hier. Clic. Il a répondu, vraiment. Clic. Message envoyé. Elle regrette déjà. Mais il est déjà trop tard. Demain ne sera déjà plus aussi serein qu’aujourd’hui encore. Tant pis. Tant mieux. Mon Eddy, je tremble déjà à l’idée que demain ne ressemble déjà plus à cet aujourd’hui placide mais, oui, Nous me manque. Tellement tu sais… Voyons-nous demain ?
Au milieu de cet immense univers, une planète. La Terre. Sur cette planète, un pays. La France. En ce pays, une région. La Franche-Comté. En cette région, une ville. Belfort. Les yeux levés au ciel, Eddy est soudain pris d’un vertige. Il y en a tellement, d’étoiles. Comme il en a à présent tellement, de possibilités. Pour qu’il ne soit pas là, aujourd’hui. Au pied de ce Lion qui ne le fait plus frémir. Aux côtés de cette fille qui ne le fait plus vibrer. Enlisé dans cette vie aux rouages trop bien huilés. Clic. Je prendrai le premier train pour Bordeaux. Message envoyé. Il regrette déjà. Ou peut-être pas. Parce que demain, déjà, lui promet tant.Dans l’engrenage de l’existence, Eddy glisse son grain de sel. Dans le rouage de la vie de cette fille-là. Dans le rouage de sa vie à lui. Demain, plus rien ne sera comme aujourd’hui encore. Mieux. Ou pire. Vide. Ou trop plein. Rien. Ou tout. Qu’importe. Demain sera ailleurs qu’en cet aujourd’hui terne. Cet aujourd’hui plat, sans saveur, sans lendemain aussi.