Tom est un jeune publicitaire de Montréal qui vient de perdre son compagnon. Il décide, en toute logique, de se rendre à ses funérailles, au fin fond de la campagne Québecoise.
Malheureusement, il y constate que la mère du défunt ne le connaît absolument pas : ni son nom, ni la nature de sa relation avec son fils.
Tom comprend enfin la situation lorsque le frère aîné de celui-ci lui impose un jeu de rôles malsain visant à protéger sa mère et l’honneur de leur famille.
Une relation toxique entre eux s’amorce bientôt.
Après avoir perdu son compagnon, c’est dans la campagne Québecoise que Tom, interprété par Xavier Dolan, vient se perdre : look de citadin, GPS détruit, portable inutile, Tom est inadapté à la campagne. Il se rend «à la ferme», cette ferme constituant le décor du film, abstrait, où il est obligé de passer mais où il ne souhaite pas vraiment s’arrêter. Il sait bien que sa place n’est pas ici.
Pourtant, ce rapide passage obligé va s’éterniser. Tom s’aperçoit d’abord que la famille du défunt ne sait rien sur lui. C’est ensuite Francis, le frère de son compagnon, personnage chimérique et hybride, qui vient le menacer s’il avoue la véritable nature de cette relation à leur mère, persuadée que son fils cadet était en couple avec une femme.
Dès le début du long-métrage, une tension se met rapidement en place, comme si un étau venait entourer Tom, un étau qui ne fera que se resserrer sur lui tout au long du film.
Stockholm, Québec
Une certaine complicité, toxique et ambiguë, se met en place entre Tom et Francis. Il est essentiel d’accepter cette nouvelle relation, qui peut sembler rebutante et grossièrement amenée au premier abord, pour apprécier le reste du film.
Cette relation est avant tout possible car Tom ne peut pas échapper à son tortionnaire.
Il aurait pu fuir, mais décide de rester, d’abord par respect pour la mère à qui il souhaite avouer la vérité. Il a la mauvaise idée d’exposer son dessein à Francis. Celui-ci le piège, le menace et l’empêche de partir.
Finalement, c’est la fascination morbide que Tom éprouve pour son tortionnaire qui le force à rester.
On peut alors s’interroger sur le statut de Francis. Qui est-il ? Que représente-t-il ?
Francis déteste-t-il Tom ? Peut-être. Pourtant, cela ne l’empêche pas d’être fasciné, voir obsédé, par sa victime. Cette double relation répulsion-attirance est un équilibre entre la soumission de Tom plus ou moins volontaire et la domination de Francis, d’abord psychologique (il le terrifie le premier jour de son arrivée), puis physique (ils dansent ensemble / Tom lui demande de l’étrangler, ce à quoi Francis semble prendre du plaisir).
Tom est perdu, il n’a plus aucun repère dans cette ferme. Il se persuade lui-même que sa place est ici, au milieu des veaux, avec Francis (« J’vais lui acheter une trayeuse au laser. C’est pas génial ça ? / C’est vrai ici. Tout est vrai ! » dit-il à sa collègue qui ne comprend pas son comportement.).
Sans repères, sans appuis, il ne se repose que sur ce qu’il a : son tortionnaire, le frère de son défunt compagnon, qui a la même voix, le même parfum… Totalement victime du syndrome de Stockholm, Tom a besoin de la présence physique de Francis pour rester. Ce n’est d’ailleurs que lorsque Francis quitte la ferme que Tom décide enfin de fuir.
Mommy
Mais d’où vient le caractère profondément violent de Francis ? Et s’il prenait ses racines au sein même de sa propre famille ?
Pourquoi Francis ne veut-il pas que Tom révèle son homosexualité ? Par peur que cela blesse sa mère, bien sûr. Il veut rester auprès d’elle. Du moins, il s’en sent obligé, admettant lui-même qu’il souhaiterait parfois la voir « raide morte sur le sol, le téléphone à la main et la gueule grande ouverte ».
Cette femme, qui semble au premier abord totalement à côté de la plaque, ne sachant rien de la relation homosexuelle de son fils décédé, ne joue-t-elle pas un rôle, elle aussi ?
Pourquoi n’hurle-t-elle pas lorsqu’elle voit Tom pour la première fois, dans son salon ? Après tout, c’est un étranger dans sa propre maison. Elle réagit comme si elle le connaissait déjà, comme si elle savait ce que cet homme faisait ici. Comme si, el quelques sorte, elle l’attendait.
C’est d’ailleurs elle qui ouvre une boîte secrète appartenant à son fils défunt contenant très probablement des preuves de sa relation homosexuelle avec Tom. Elle prétend n’avoir jamais lues ces lettres, pourtant elle insiste pour que Tom les lui lise.
Et si, au lieu d’être manipulé par Francis, Tom était manipulé par la mère de son supposé tortionnaire ? Si c’était elle, l’origine de tous ces maux, de la schizophrénie de Francis, du désir de son fils défunt de couper les ponts avec elle, du malaise permanent éprouvé par Tom ?
On peut lire ça et là que le film serait un long-métrage condamnant l’« homosexualité en milieu rural ». Foutaises. L’homosexualité du personnage principal est avant tout un prétexte permettant de justifier l’intrigue et le statut « bâtard » de Tom au sein de cette famille.
La nature de la relation mère-fils paraît ici bien plus riche et intéressante pour comprendre le film. C’est d’ailleurs un thème que l’on retrouve souvent chez Dolan, de son premier (J’ai tué ma mère) à son dernier film (Mommy), qui sera en compétition au Festival de Cannes 2014.
La richesse de Tom à la ferme se trouve dans le fait que Xavier Dolan ne se limite pas à une description didactique des rapports mère/fils ; il nous expose aussi ses conséquences sur le reste de la famille et sur son entourage.
Un rapport que Dolan voit (d’un oeil certes singulier) comme constamment conflictuel, basé sur un antagonisme perpétuel entre le désir du fils de s’émanciper et celui de rester auprès de sa mère quoi qu’il arrive. Rapport d’autant plus complexe puisqu’inaltérable, éternellement noué par les liens du sang.
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