Pour son neuvième long-métrage, le réalisateur Pierre Salvadori (Les Apprentis, Après vous) s’écarte des sentiers de la comédie pour aborder la tragi-comédie avec Dans la cour, co-scénarisé avec David Léotard qui tourne autour de la rencontre entre Catherine Deneuve (Mathilde, une jeune retraitée) et Gustave Kervern (Antoine, un musicien de 40 ans lâchant soudainement sa carrière) dans la cour d’un immeuble où gravitent toutes sortes de « petites gens » un peu fêlés.
Antoine est musicien et doit se produire sur scène. Ce soir, il bloque, il a « envie de dormir » alors il s’en va, il quitte tout. Il commence par s’asseoir sur un banc des Buttes-Chaumont pour regarder les enfants jouer. Mais comme il faut bien gagner de l’argent pour vivre, il se rend chez Pôle Emploi. Problème : il ne sait pas faire grand-chose. Heureusement, l’employée un peu loufoque qui le reçoit se souvient d’une ancienne annonce, qu’elle retrouve dans sa poubelle : on cherche un gardien d’immeuble. C’est facile : il lui suffit de dire qu’il a « toujours aimé la convivialité du métier ». Antoine se fait donc embaucher comme concierge d’un petit immeuble de l’est parisien. Il trouve ainsi un métier, et un appartement, dans la cour.
Et il s’en passe des choses, il en passe des gens, dans cette cour. Il y a Mathilde, la jeune retraitée active préoccupée par une fissure dans son mur, et son mari Serge, ancien syndicaliste, M. Maillard, qui a une obsession pour la sécurité de l’immeuble, Stéphane, un jeune homme apathique et voleur de Vélib’ persuadé que la crise va pousser les gens à envahir les toits… Tous ces gens et leurs petites névroses se croisent dans la cour et demandent aide ou conseils à Antoine, qui s’efforce, entre deux sessions de ménage, d’y répondre avec gentillesse… et une certaine incapacité à dire « non ».
C’est Mathilde qui très vite monopolise son attention. Une curieuse amitié se développe alors entre le concierge dépressif, qui alterne entre mélancolie et euphorie (généralement après avoir sniffé une petite poudre brune), et la jeune retraitée que la découverte de la fissure fait peu à peu tomber dans une folie nerveuse, au grand dam de son mari. Antoine se laisse entraîner dans les délires de son amie, se prend à l’encourager malgré lui, voire à l’aider quand il s’agit de préparer les petits fours pour la réunion d’information sur les risques d’effondrement de l’immeuble. Si cette relation –toujours amicale, jamais il n’est question d’attirance- pourrait d’abord sembler salvatrice, elle se révèle être un poison pour les deux personnages alors qu’ils se poussent mutuellement vers le gouffre de la mélancolie.
Dans la cour est une comédie sur la dépression, Pierre Salvadori parvenant à se maintenir sur un délicat équilibre entre comique et tragique. Ce n’est ni la mise en scène, assez conventionnelle, ni le pittoresque inexistant du décor de la cour qui font son intérêt, mais la galerie de personnages torturés, chacun à leur petite façon, qui défilent devant la loge d’Antoine. C’est aussi et surtout la rencontre de ces deux individus submergés par la déprime, le cafard, l’angoisse ou la folie. Malgré ces émotions étouffantes, Mathilde et Antoine nous entraînent dans une histoire drôle, tendre et émouvante. Ils nous font suivre leur quotidien, leurs égarements, leurs moments d’espoir –car il y en a, un peu. Ils nous montrent surtout leur solitude qu’ils tentent de combler, l’une par son investissement dans des projets catastrophistes, l’autre par la drogue, l’alcool et la résolution des problèmes des autres.
Si les personnages de Dans la cour sont aussi forts, c’est en grande partie grâce au jeu des acteurs, tous excellents. Gustave Kevern est très touchant et plein d’humanité dans le rôle de ce gardien d’immeuble paumé. Pio Marmaï, le voleur de vélos qui fournit sa drogue à Antoine, donne à son personnage peu reluisant un certain charme et une vraie sympathie. Féodor Atkine joue très bien l’époux perdu, désespéré par le comportement de sa femme. Et puis Catherine Deneuve, toujours aussi grande même en incarnant une « petite gens », formidable quand il s’agit de perdre les pédales. Sa voix inimitable rend grâce aux dialogues de Pierre Salvadori et David Léotard. Ciselés et percutants, ceux-ci participent beaucoup à la beauté du film et permettent aux acteurs de s’épanouir dans des rôles très bien écrits et un récit rythmé.
Là où le film pêche parfois, c’est quand le rythme baisse, certaines scènes devenant alors plus ternes, plus longues. Lorsque l’extérieur envahit la cour, avec Lev, le gardien de parking immigré par exemple, le film se perd, l’incapacité d’Antoine à dire « non » peut devenir un poids et on peine à se passionner pour certaines histoires. Le spectateur rit moins, est moins ému, et risque de se détacher de l’action. Mais ces passages restent rares et n’enlèvent rien à la beauté des dialogues, des personnages et du récit. Dans la cour est véritablement une excellente comédie dramatique, à laquelle les acteurs et l’écriture donnent toute sa beauté.
Dans la cour. De Pierre Salvadori. Avec Gustave Kevern, Catherine Deneuve, Féodor Atkine, Pio Marmaï, Michèle Moretti, Nicolas Bouchaud, Oleg Kupchik …
Sortie le 23 avril 2014.