Peut-être le suprême, le seul exercice radical de l’art, est-il un exercice de rétraction. Créer n’est pas un acte de pouvoir (pouvoir et création s’annulent) ; c’est un acte de consentement ou de reconnaissance. Créer porte le signe de la féminité. Non point acte de pénétration dans la matière, mais passion d’être pénétré par elle. Créer c’est engendrer un état de disponibilité, où ce qui est d’abord créé c’est le vide, un espace vide. Car la seule chose que crée l’artiste n’est peut-être que l’espace de la création. Et dans l’espace de la création il n’y a rien (pour que quelque chose puisse être créé). La création du néant est le principe absolu de toute création :
Dieu dit : - Que le Néant soit.
Et il leva la main droite
Jusqu’à voiler son regard.
Et le Néant fut créé.
L’état de création est semblable au wu-wei dans la pratique du Tao : état de non-action, de non-interférence, d’attention suprême aux mouvements de l’univers et à la respiration de la matière. Ce n’est que dans cet état de rétraction que survient la forme, non comme quelque chose d’imposé à la matière, mais comme son épiphanie naturelle.
Et la matière pour l’artiste ne se situe jamais au-dehors. Elle occupe l’espace du vide du dedans, l’espace engendré par rétraction, par non-interférence, où 2 - 1 est toujours supérieur à 2 + 1, selon la loi de l’addition négative que Kandinsky, si proche, formula.
État de création et espace de création. « Un jour j’ai tenté d’atteindre directement le silence », écrit Antoni Tàpies. Le silence ou le néant. Le lieu de la matière intériorisée. Lieu de l’illumination ?
José Angel Valente, Cinq fragments pour Antoni Tàpies, Fragment I, dans Communication sur le mur, Antoni Tàpies José Angel Valente, éditions Unes, 1999, pp 25-26
[choix d’Anne Bernou]