A première vue, l’abstention de 41 députés socialistes lors du vote à l’Assemblée nationale sur le "programme de stabilité budgétaire" prive le gouvernement de Manuel Valls d’une majorité stable. A première vue seulement. En fait, la nomination de l’ancien député-maire d’Évry à Matignon et ses options gouvernementales épousent la logique d’un déplacement du centre de gravité vers la droite de l’échiquier. Une évolution confirmée par l’installation, sans doute pérenne, du Front national dans la vie politique et à même de bouleverser le bipartisme souhaité par la Ve République.
En clair, si Marine Le Pen obtient plus 20% des voix aux prochaines élections européennes devant l’UMP et le Parti socialiste, ce succès d’un troisième pôle partisan, qui pèsera sans doute moins au Parlement européen qu’au sein des rapports de forces hexagonaux, entraînera plusieurs conséquences. D’ores et déjà observables.
En premier lieu, une aggravation décisive du clivage au sein même du Parti socialiste avec à terme, l’émergence – à mettre au crédit de Manuel Valls – d’une social-démocratie. Cette dernière cherchera, sans doute dans un premier temps, à s’appuyer sur des centristes en pleine recomposition eux-aussi: une évidence pour qui écoutait, jeudi soir sur BFM TV, Yves Jégo, président par intérim de l’UDI, jongler entre appels à former un gouvernement d’union au centre et menaces de radicaliser son opposition à l’actuelle majorité. Une autre conséquence, à droite cette fois-ci: à moins de prendre le risque, suicidaire, d’une surenchère à droite, l’UMP ne trouvera son salut en 2017 qu’au travers de la désignation d’un candidat modéré. Un profil qui discrédite Nicolas Sarkozy et Jean-François Copé pour leur tropisme droitier mais ouvre un boulevard au maire de Bordeaux Alain Juppé. L’espace de l’extrême gauche désormais vacant devrait, quant à lui, voir s’affronter Cécile Duflot, Jean-Luc Mélenchon et Olivier Besancenot. Sanglant.
Alliés aussi improbables que le mélange de l’eau et du feu, Manuel Valls et Marine Le Pen sont néanmoins en train de changer la politique française. Cette profonde mutation sera peut-être la seule marque laissée à son insu – ruse hégélienne de la raison historique – par le quinquennat de François Hollande.