Il y a une vingtaine d'années, Josette Alia, un des piliers du Nouvel Observateur, avait tenté avec bonheur l'aventure du roman. J'avais eu le plaisir de la rencontrer pour parler avec elle de Quand le soleil était chaud. Aujourd'hui, au moment où j'apprends sa mort (survenue jeudi soir), le souvenir de cette rencontre, chez elle, me revient tout entier. Je vous en fais partager la trace écrite - l'article tel qu'il est paru en 1993 dans Le Soir.
Josette Alia est journaliste depuis trente ans. Autant dire qu'elle ne compte plus ses articles, publiés dans Jeune Afrique, Le Monde et maintenant Le Nouvel Observateur dont elle est directrice adjointe.
Elle n'avait donc jamais éprouvé le besoin d'écrire un roman. "Je n'étais pas frustrée d'écriture", dit-elle, "et je me trouvais très bien dans mon métier de journaliste."
En revanche, il y a quatre ou cinq ans, à force de voir oubliées certaines histoires au Moyen-Orient, une région du monde qu'elle connaît bien, elle a commencé à avoir envie d'écrire un livre. "On ne savait pas, en Occident, qu'il y avait là des Arabes chrétiens, et que c'était même le berceau du christianisme. Comme la politique est ma pente naturelle, j'avais pensé en faire un document, mais je n'arrivais pas à y faire passer la vie des gens. Seul le roman pouvait faire passer ça."
Mais voilà: à force de se cantonner au réel, Josette Alia se sentait-elle capable de passer à l'imaginaire? "Ce n'était pas mon métier, le roman", reconnaît-elle. "C'est un pas à franchir, la fiction!"
Heureusement, il est franchi avec bonheur, en particulier parce que les personnages principaux sont attachants. Lola, puisque c'est d'elle qu'il s'agit surtout, a une quinzaine d'années quand commence le récit, au Caire en 1952. L'Égypte va connaître quelques bouleversements, le mot est faible, et Lola dépendra complètement de ce qui se passe, jusqu'à devoir émigrer au Liban, et rencontrer à Beyrouth d'autres sources d'agitation non moins perturbantes.
La place de l'Histoire, avec majuscule, dans l'histoire personnelle de Lola, est donc considérable. Josette Alia constate d'ailleurs, depuis que son roman est paru, que bien des lecteurs s'y reconnaissent alors qu'elle n'a pu s'inspirer d'eux pour nourrir ses personnages. "Mais les gens qui ont vécu ces événements ont suivi cette trajectoire-là", explique-t-elle. "C'est tout à fait inventé, mais ça correspond à des choses réelles."
Josette Alia connaît bien les événements dont elle parle, bien que rien dans le livre ne soit autobiographique - à l'exception de quelques images qui lui appartiennent -, mais elle a quand même le sentiment d'en avoir découvert une face cachée en les transposant dans un roman: "Je croyais tellement bien connaître les choses. Comme journaliste, on a besoin d'expliquer. On regarde, on raconte ce qu'on a vu, mais je n'avais jamais raconté comment je l'avais vécu. On ne vous demande pas vos états d'âme. Ça m'a appris beaucoup de choses, le roman, et je pense que je n'écrirai plus, même des articles politiques, de la même manière. Je prendrai en compte la manière dont les gens vivent les événements."
Après plus de trente ans passés à raconter des histoires, c'est comme si Josette Alia venait de découvrir la véritable portée d'un récit comportant une épaisseur humaine. Avec, évidemment, la grande variété de lectures dans laquelle elle trouve des points de vue différents et cependant cohérents: "Ce que j'ai voulu écrire, c'est une histoire d'amour. Mon point de départ était la vie de mon héroïne, et pas du tout l'histoire du Moyen-Orient. Les femmes lisent mon livre comme ça, les hommes y voient plutôt l'histoire du Moyen-Orient."