La poétesse québécoise Claudine Bertrand devant les lycéens

Publié le 04 mai 2014 par Sheumas

Elle vient de Québec, et les élèves goguenards affirment qu’elle possède « un accent à la Céline DION »... Elle s’appelle Claudine BERTRAND, ou plutôt « IDOLE ERRANTE », son anagramme et sa définition de la poésie... or, c’est justement de cette « idole errante » qu’elle est invitée à parler en ce vendredi 23 mars au lycée VIELJEUX... Parler de cette idole errante à des lycéens qui ne comptent pas forcément la poésie au nombre de leurs idoles.

Et pourtant, le jeu en vaut la chandelle et Claudine en est convaincue. Elle s’exprime généreusement, avec la pudeur et le feu de ce qu’elle nomme « les yeux intérieurs ». Une étincelle dans le regard et dans la voix, et voici la braise allumée... Rimbaud, Eluard, les surréalistes (appelés « automatistes » à Québec dans les années 60), « la terre bleue comme une orange » et puis cette silhouette en cape noire, sa prof de français, qui lui a raconté un jour, quand elle était au lycée, qu’elle venait de rencontrer RIMBAUD et qu’elle allait raconter à la classe tous les détails de sa vie. « Une saison en enfer » et tout ce qui fait rougir les joues...

Les lycéens autour d’elle ouvrent des yeux ronds, se demandent si c’est vrai ça, si on peut encore de nos jours trouver des profs en cape noire qui ont, eux aussi, rencontré ARTHUR RIMBAUD. Claudine affirme de toute façon que désormais, elle ne se promène jamais sans son RIMBAUD portatif dans la valise. Et puis, à propos de « la terre bleue comme une orange », elle s’est fait sa propre théorie parce qu’elle est convaincue que la poésie a toujours des choses nouvelles à nous révéler au fil du temps.

Terre orange, parce que la terre a la rondeur de l’orange... ça c’est ce que remarque un élève... mais bleue... Pourquoi bleue ? Parce qu’une orange qui moisit, ça devient gris bleu et qu’en ces temps de pollution, tout n’est pas rose, ni même orange... La poésie, c’est comme la marmelade, « ça bouillonne » et la poétesse invite les lycéens à « plonger dedans » ! C’est le lieu « où les mots se chamaillent », courent dans tous les sens et jamais en sens unique. C’est un « laboratoire » dans lequel le poéte travaille pour « mettre des mots sur les maux » et renouveller le langage, tirer sur la corde, serrer la plume jusqu’à trouver « le lieu et la formule », ou le haïku.

Plus besoin de vers, de rimes, de structure fixe. Ça, c’est l’espace du passé. Le poète a fait tomber « les lourds manteaux de la forme » et avance en débardeur et en bermuda, le sourire au coin des lèvres. L’attention du public flanche un peu, il faut les tenir les élèves qui ont chaud et qui voient par les grandes baies vitrées ouvertes le printemps qui approche et pas forcément l’Azur ! Mais Claudine, « qui donne des confitures au bon poète », ne désarme pas : « L’enfant mange avec sa bouche de saltimbanque », « le rêve a la peau dure »... La voilà qui s’avance vers les rangs des « oiseaux clabaudeurs aux yeux ronds » et qui leur sert quelques-uns de ses vers qui donnent chair à la poésie... « Une chair en extase à la main tendue »... Elle leur explique que la poésie, ça parle de la passion et de l’aventure, de l’ailleurs et de l’origine. Dans son cœur, l’Afrique, le Vietnam, la France et ce souvenir d’un séjour dans le Vercors, où un homme venait tous les soirs fleurir une tombe inconnue... C’est ça, la poésie ! La poésie ouvre des horizons, elle revisite le monde et l’humanité, elle redescend dans l’enfance, elle fait resaigner des blessures enfouies... Elle éclate de rire quand elle évoque son premier poème et la solitude d’un « pauvre petit hamster déprimé » après la mort ridicule de ses deux compagnons qui avaient quitté la cage...

Claudine s’émeut à cette anecdote qu’elle confie à une élève qui l’interroge sur les origines de son talent. Elle lui explique que la poésie, « ça ouvre des portes », comme celle du clapier des imprudents hamsters. « Je est un autre » disait l’ami Arthur... Cet « autre », c’est le hamster, c’est aussi celle que je suis quand j’écris mes poèmes, quand je suis maman avec ma fille, quand je suis amante avec « mon chum »... C’est toujours « le fun » en tout cas !

« Alors, vous avez compris maintenant, les lycéens ! Quand les vieux hamsters auront laissé la place, allez-y à votre tour ! Rongez le gruyère du langage ! Grignotez le monde avec vos mots à vous ! Des mots nouveaux, des mots fous, aussi fous que les nôtres ou que tous ceux des poètes qui nous ont précédés ! Et pour cela, déplacez le regard, allez au-delà des apparences, faites tourner votre globe oculaire sur les infinis du globe terrestre ! Allez-y, jeunes hamsters aux yeux remplis d’intelligence... Maintenant, moi, j’ai dit ce que j’avais à vous dire. Il faut que j’avale mon breuvage »

Et ils sont repartis paisiblement, dans ces galeries où résonnent toujours les sonneries des cours d’école, ces galeries qui ouvrent aussi sur la double galerie du temps et de l’espace.