Confronté au double défi des nouvelles menaces post Guerre Froide et post 11-Septembre (à la fois conventionnelles, peut-être à venir, et irrégulières, déjà présentes), notre outil de Défense doit évoluer aussi bien dans sa Doctrine que dans ses moyens, chacun le sent, le sait et certains proposent des pistes en conséquence. Si les réflexions sur l’emploi des forces se poursuivent et aboutissent souvent à d’heureuses innovations intellectuelles, elles resteront lettres mortes sans les outils adéquats, à savoir la constitution d’une force adaptée, cohérente, à la fois taillée pour les emplois qu’on envisage de lui donner et disposant d’une souplesse suffisante pour s’ajuster sans délai aux dangers inattendus, sachant que, par principe, l’Autre antagoniste a la fâcheuse habitude de nous attaquer par les angles et avec les armes qu’on n’attendait pas.
Dans un monde parfait (rêvons un peu…), des décideurs politiques avisés, instruits sur ces questions et conscients de leurs responsabilités organiseraient une vaste consultation d’experts civils et militaires en y intéressant le plus possible ceux des citoyens qui se sentent concernés par ces problèmes[1], trancheraient finalement pour le meilleur, quitte à froisser quelques susceptibilités, et alloueraient au dessein choisi les moyens correspondants pour assembler l’outil permettant d’appliquer les doctrines retenues.
La réalité est, comme toujours, un peu différente de ce scenario « idéal ». D’une part les difficultés budgétaires incitent les décideurs à tailler à la hache dans des budgets dont ils ne perçoivent pas toujours l’utilité immédiate au regard des exigences sondagiéres ; d’autre part, et cause principale du comportement précédent, certains personnages politiques clés ont une conception étrange de l’emploi des forces armées voire se désintéressent quasi totalement de cet aspect de leur métier qui constitue pourtant le cœur de la fonction qu’ils ont si ardemment souhaitée occuper[2].
Dans le cadre des débats qui entourent la rédaction du Livre Blanc de la Défense et de la Sécurité, signalons l’intéressant travail de Baptiste MASON publié dans le dernier numéro du magazine Raids. S’interrogeant sans fioriture sur les fâcheux et trop nombreux cas d’autoneutralisation entres les différents services et armes, il propose quelques pistes où l’interarmes, une mutualisation pragmatique et le recours raisonné aux « micro-programmes » d’armements et achats sur étagères d’équipements adaptés à l’étranger (avions d’attaque au sol A-10 d’occasion, gros porteurs…) sont privilégiés, quitte à bousculer quelques « gardiens du Temple », sans doute bien intentionnés mais dont l’obstination nuit peut-être à une meilleure efficacité générale.
L’auteur de l’article, avec sagesse, ne prétend pas détenir la solution à tous les problèmes mais les pistes qu’il propose ont le mérite de poser clairement quelques-unes des idées qui circulent actuellement pour rendre notre outil militaire plus cohérent.
Un point de vue à lire, donc, et un débat qui doit se poursuivre avec le concours de toutes les bonnes volontés.
[1] Rien de pire que d’exclure, volontairement ou par découragement, la population de ces problématiques : mieux vaut un civil qui s’intéresse, quitte à dire des âneries et à se faire recadrer le cas échéant (comme cela peut arriver à votre serviteur), qu’un citoyen maintenu dans une ignorance qui risque de se transformer en hostilité par désinformation. Une fois de plus, rappelons l’importance d’une trinité étatique qui fonctionne bien pour permettre une Défense Nationale efficace et forte.
[2] Ce n’est pas faire injure au ministre des Affaires Etrangères, ni marginaliser ses autres qualités, que d’émettre des doutes sur son activisme humanitaire qui conduit parfois nos forces, qui ne sont pas pléthoriques, à s’engager dans des contrées qui n’apparaissent pas comme décisive pour notre sécurité stratégique. De même, le Président de la République n’a jamais fait mystère de son indifférence pour les questions stratégiques et militaires, une attitude curieuse si l’on considère que le poste qu’il occupe traite majoritairement de ces problèmes.