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Tchad – soudan – eufor : nouveaux ennuis en perspective ?

Publié le 02 avril 2008 par Francois155

Certains décideursTchad – soudan – eufor : nouveaux ennuis en perspective ? français doivent se dire en ce moment qu’il est décidément bien difficile de faire cohabiter, dans un même pays et si vaste soit-il, deux approches radicalement différentes de l’intervention militaire extérieure : la realpolitik la plus rude (la plus cynique, diront certains) avec les aspirations humanitaires les plus nobles (les plus naïves, diront d’autres ou les mêmes). Bref, entre l’EUFOR et Déby, les rebelles tchadiens et le déploiement humanitaire aux frontières du Soudan, doit-on choisir et, dans ce cas, qui favoriser ? Cette question brulante, une parmi d’autres, risque de se poser avec une acuité surprenante dans les prochaines semaines, au grand dam des concepteurs de l’usine à gaz Eufor qui se sont permis, les distraits, d’oublier que lorsqu’on déploie des troupes, les bonnes intentions seules ne suffisent pas et qu’il faut aussi inclure dans l’équation la volonté, pas toujours amicale ni forcément coopérative, de tous les acteurs présents sur le terrain.

Mais revenons un peu en arrière. Fin janvier, la rébellion tchadienne hostile au président Idriss Déby lance une offensive sur Ndjamena sous la forme d’un rezzou en bonne et due forme. Le pouvoir, bousculé, vacille et semble prêt de s’effondrer lorsque les colonnes rebelles approchent de la capitale. Pour Paris, qui s’affaire au même moment à mettre en place son dispositif militaro-humanitaire aux confins du Darfour, non sans difficulté car ses partenaires européens, les ingrats, pensent étrangement que leurs troupes ne s’ennuient pas au point de vouloir expressément les déployer sur un nouveau théâtre d’opération, la chute du conducator local est vue du plus mauvais œil. Par chance, les colonnes rebelles seront repoussées in extremis grâce à l’intervention de moyens lourds (chars et hélicoptères d’assaut), les troupes loyalistes bénéficiant vraisemblablement d’un coup de pouce de la Lybie et de la France. Les promoteurs de l’EUFOR respirent d’autant qu’ils imaginent que Déby, reconnaissant, accordera son pardon aux tristes sires de l’Arche de Zoé[i] voire, rêvons un peu, se convertira aux vertus de la démocratie. Las, l’insolent profite de sa victoire pour emprisonner quelques opposants et tarde à gracier nos compatriotes. Mais l’essentiel est sauf : le déploiement qui doit secourir les réfugiés du Darfour peut se poursuivre.

Deuxième coup dur, et sans aucun doute le plus dramatique, une patrouille du COS « égarée » en territoire soudanais est prise à partie par l’armée régulière locale et l’un de nos hommes y laisse la vie. Les circonstances exactes de cet accrochage restent confuses mais il est certain que, dans cette affaire, le pouvoir de Khartoum a fait preuve d’une fermeté belliqueuse qui augure mal de bonnes relations futures, une condition pourtant indispensable à l’accomplissement de la mission de l’EUFOR.

Comme si cela ne suffisait pas d’être adossé à un flanc agressif, la rébellion intérieure tchadienne fait à nouveau parler d’elle ces derniers jours. Dans un entretien accordé à Alain Léauthier, journaliste à l’hebdomadaire Marianne et publié dans le numéro du samedi 29 mars, Brahim Kochi, « conseiller spécial » du général Mahamat Nouri, chef des insurgés, annonce une nouvelle offensive contre Déby « dans les prochaines semaines ». La rébellion, assure-t-il, a tiré les leçons de sa défaite et serait maintenant forte de 12 000 hommes armés par le Soudan, de son propre aveu, et maintenant dotée d’un commandement unifié, gage d’une meilleure efficacité. Habilement, Kochi garantit à la France, en cas de non intervention de sa part (en clair : de l’acceptation du « départ » d’Idriss Déby), « un respect scrupuleux des alliances (…) et (…) une aide active au déploiement des troupes de l’EUFOR sur la frontière avec le Soudan ». Plutôt malin de sa part sauf que, l’homme étant coutumier des rodomontades, on prend initialement cette annonce guerrière pour un simple « coup de pression ». Après tout, les rebelles ont subi de lourdes pertes et on les imagine mal repartir si vite à l’assaut.

C’est dans ce contexte qu’on apprend hier que les insurgés ont attaqué et occupé la ville d’Adé, dans l’extrême est du Tchad. Comme toujours dans ces cas, les communiqués sont contradictoires, le pouvoir accusant ses opposants armés d’avoir sciemment rompu le cessez-le-feu avec le soutien du Soudan (ce qui est plus que probable) tandis que les forces loyalistes auraient repoussé l’assaut (ce que démentent les rebelles qui prétendent tenir la localité). Toujours est-il que l’annonce de cette nouvelle action militaire doit inciter la France, ses citoyens et ses décideurs, à se poser un certain nombre de questions :

Tout d’abord, et tandis que la question du renforcement de notre présence en Afghanistan fait débat, est-il bien raisonnable de disperser nos maigres moyens dans une aventure africaine dont l'approche stratégique doit plus à George Clooney qu’à Carl Von Clausewitz ?

Peut-on, pour des motifs humanitaires « droits-de-l’hommistes » du plus bel effet dans les salons germanopratins, tolérer sur ses arrières, voire soutenir à bout de bras, un régime dont l’idéal démocratique demeure peu perceptible ?

Quelle sera l’attitude, notamment militaire, de la France lorsque les rebelles lanceront leur prochaine offensive d’envergure ?

Dans le cas où la France déciderait de « lâcher » son ami Idriss Déby, est-il bien raisonnable de le remplacer par des individus téléguidés depuis le Soudan, un régime dont on mesure mieux, depuis l’assassinat du sergent Polin, la dimension chaleureuse et fraternelle, en particulier à notre égard ?

Enfin, quand se décidera-t-on à solder définitivement la diplomatie humanitaire pour une approche redevenue raisonnable (ce qui n’exclut nullement l’aide aux populations en détresse, soit dit en passant) des grands problèmes géopolitiques qui bouleversent ce monde ?

Pendant ce temps, les comptables de la République, pour financer des projets plus ou moins utiles et efficaces, affutent la hache qui doit trancher dans le budget de la Défense…


[i] Pour leur défense, il faut reconnaitre que ces illuminés n’ont fait que mettre en pratique les discours caricaturaux et condescendants que tiennent certains personnages publics qui nous rebattent les oreilles avec le « devoir d’ingérence », sinistre resucée, à la sauce années 90, du devoir de « l’homme blanc », culpabilisateur et simpliste.


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