Peintre britannique anonyme,
Portrait d'un gentilhomme, fin du XVIe ou début du XVIIe siècle
Huile sur carton collée sur bois, 7 x 5,4 cm (10,8 x 9,5 x 1,9 cm avec le cadre),
Yale Center for British Art, Paul Mellon Collection
François Joubert-Caillet fait partie des jeunes violistes dont la réputation va grandissant auprès des amateurs de musique ancienne, ce qui lui a valu d'être repéré par le label Ricercar pour lequel il a signé, à la rentrée 2013, un disque consacré à Johannes Schenck aux côtés, excusez du peu, de Wieland Kuijken. Collaborateur régulier de Clematis ou de la Cappella Mediterranea, il endosse à son tour le rôle de chef d'ensemble et réalise, à la tête de son consort nommé L'Achéron, un premier enregistrement dédié à Anthony Holborne intitulé The Fruit of Love.
S'il appartient à la période extrêmement florissante que fut, pour l'Angleterre des arts, le règne d'Elizabeth
Ière, si son contemporain John Dowland, en lui dédiant la chanson I saw my ladye weepe figurant dans son Second Booke of Songs (1600), pouvait le désigner comme
« the most famous Anthony Holborne », la biographie de ce musicien est aujourd'hui particulièrement lacunaire. On ignore tout de sa formation, dont on peut juste déduire des
indices disséminés dans ses écrits qu'elle fut soignée ; peut-être est-il le jeune homme qui s'inscrivit, en mai 1562, à l'université de Cambridge – il aurait alors été âgé d'environ 17
ans puisqu'on le suppose né vers 1545 –, et fut admis, en novembre 1565, à faire son droit au sein de l'Inner Temple de Londres ? Le nom semble concorder avec celui préservé par
les registres, mais aucune preuve formelle n'est venue, à ce jour, étayer cette hypothèse. La première date qui soit certaine est celle de son mariage, le 14 juin 1584 à Westminster, avec
Elizabeth Marten, dont il aura au moins quatre enfants entre 1586 et 1596. On retrouve trace de son activité de musicien dès le début des années 1580, puisqu'il compose une Walter Earle’s
pavan dédiée à ce virginaliste mort en 1581, et The Countess of Pembroke’s Funerals probablement à l'occasion de la mort de cette dernière, en 1588, tandis qu'une lettre écrite à
Anvers en 1594 atteste que sa réputation de joueur de luth, de bandore et de cistre avait largement franchi les frontières de l'Angleterre. Son legs le plus important demeure cependant ses deux
recueils imprimés, The Cittharn Schoole et Pavans, Galliards, Almains and other short Æirs...,
Le recueil Pavans, Galliards, Almains and other short Æirs..., qui fournit la matière de cette anthologie, se compose de 65 pièces, dont 53 pavanes et gaillardes formant généralement couple, et des allemandes. Nombre de ces morceaux portent un titre plus ou moins explicite, souvent évocateur : My Selfe est, bien sûr, un autoportrait, The Funerals renvoie, comme on l'a vu, à un événement précis, on voit assez bien ce que peuvent désigner Lullabie ou The Sighes, mais qu'est-ce qui peut bien se cacher, par exemple, derrière l'image de The Fruit of Love, The Choice ou The Honie-Suckle ? Dans le même ordre d'idées, on peut se poser la question de savoir si ces œuvres qui épousent la forme des danses de leur époque sans en porter le nom et se fondent sur des élaborations polyphoniques complexes étaient vraiment conçues pour être dansées ou pour être écoutées. Mystère. Ce qui est, en revanche, certain, c'est qu'elles offrent un reflet parfait de la société qui les a vues naître, par leur raffinement extrême et leur atmosphère volontiers rêveuse qui entrent naturellement en résonance avec la poésie – songez à la noblesse de Sir Philip Sidney ou aux extravagances de John Donne – ou la peinture de la même époque, comme en attestent, par exemple, les portraits qui nous sont parvenus et jouent avec subtilité sur les registres de la proximité et de la distance. Des pages comme The teares of the Muses ou The image of Melancholly ne nous parlent-elles pas merveilleusement de ce règne d'Elizabeth Ière, où la mélancolie, pas nécessairement envisagée sous son aspect sombre d'ailleurs, était cultivée comme une fleur rare ?
L'Achéron n'est évidemment pas le premier ensemble à s'aventurer sur ces terres et il doit même y affronter la concurrence
d'une pointure, puisque Jordi Savall et Hespèrion XXI ont déjà puisé dans le recueil de 1599 pour constituer une magnifique anthologie intitulée The teares of the Muses, publiée en
2000 par Alia Vox, aux temps heureux où cet encore jeune label s'intéressait plus à la musique ancienne qu'aux anthologies métissées ou à vocation vaguement encyclopédique. On en sera peut-être
surpris, mais les nouveaux venus tiennent tête à leurs glorieux aînés avec beaucoup de panache et livrent une vision tout à fait séduisante des compositions de Holborne. Dans les deux cas,
c'est la formation en broken consort, incluant donc plusieurs familles d'instruments (ici violes, luths, bandore, cistre et claviers) qui a été retenue,
Je vous recommande donc de goûter à votre tour à ce Fruit of Love qui vous permettra de découvrir, si vous ne les connaissez pas encore, des musiques aussi intéressantes que belles, et si elles vous sont plus familières, de les envisager avec un regard renouvelé. Puisse ce premier essai de L'Achéron ne pas demeurer sans lendemain, car tout est loin d'avoir été dit et exploré dans le domaine du répertoire pour consort ; la distance prise aujourd'hui avec ce dernier par ceux qui, hier, furent certains de ses grands serviteurs, qu'il s'agisse d'Hespèrion XX/XXI ou du Ricercar Consort, laisse une absence qu'il ne faudrait pas laisser s'installer trop durablement.
L'Achéron
François Joubert-Caillet, viole de gambe soprano & direction
1 CD [durée totale : 69'11"] Ricercar RIC 339. Ce disque peut être acheté sous forme physique en suivant ce lien et au format numérique sur Qobuz.com.
Extraits proposés :
1. The Choice
2. Hermoza
3. Paradizo
Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :
Illustrations complémentaires :
Page de garde de Pavans, Galliards, Almains and other short Æirs... (1599), Londres, British Library
La photographie de L'Achéron est d'Éric Larrayadieu.