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Comprendre la mécanique guerrière passe sans aucun doute par la fréquentation assidue de deux domaines indispensables et complémentaires : l’histoire militaire et l’étude des grands penseurs. Idéalement, les deux seront menées conjointement car ils se chevauchent et se mêlent admirablement : les théories permettent de voir à travers les événements tandis que l’histoire illustre, enrichit et parfois contredit le travail théorique des observateurs antérieurs. Lorsqu’on lit l’histoire des grandes batailles, on perçoit souvent, de manière intuitive, les grandes lignes de force, les ressorts fondamentaux qui apparaissent, comme en filigrane, derrière les événements. Les grands stratégistes décodent et décryptent, sortent ce « squelette » du fracas du contexte pour l’étaler et l’examiner, en tirant des leçons inestimables qui, bien souvent, perdurent à travers les siècles. Le récit d’une bataille ou d’un conflit ne sera plus le même lorsqu’on l’aura vu à travers les grilles fournies par l’étude de ces auteurs.
A l’inverse, une lecture des ouvrages théoriques qui ne s’adossera pas à une solide culture historique restera bien souvent abstraite, désincarnée, intéressante mais pas assez illustrée par des exemples précis que le lecteur pourra puiser dans sa propre culture voire son propre vécu.
Je fais volontairement l’impasse ici sur l’histoire militaire : dresser un catalogue des ouvrages essentiels dans ce domaine serait tout simplement impossible ! Lisez des livres, des revues, regardez des documentaires et des films pour apprendre et vous familiariser avec les événements de la manière la plus complète possible. Chaque période, chaque guerre a ses spécialistes. A chacun de suivre, selon son gout, le chemin qu’il souhaite dans ce domaine. Citons seulement deux livres de référence et qui ont un rapport direct avec la chose militaire :
- « Dictionnaire Perrin des guerres et des batailles de l’histoire de France », sous la direction de Jacques Garnier.
- « L’art de la guerre par l’exemple » de Frederic Encel.
Pour en revenir aux penseurs, contentons-nous de recenser les ouvrages qui décryptent et analysent ces événements consubstantiels à l’histoire de l’homme. Pour plus de clarté, divisons-les, un peu arbitrairement car certaines catégories se chevauchent, en trois grandes parties : comprendre la nature profonde de la guerre (qui s’attachera à l’étude de la stratégie) ; comprendre les mécanismes essentiels de la guerre (plus spécifiquement dédié à l’homme dans la guerre, à la tactique et à la technique militaire) ; enfin, actualiser et poursuivre la réflexion (qui donnera quelques références pour suivre les dernières recherches et les pistes explorées par les penseurs d’aujourd’hui).
NB : gardons bien présent à l’esprit que dresser une liste parfaitement exhaustive n’est pas le but ici. Il s’agit simplement de présenter quelques lectures utiles qui font généralement l’unanimité, sachant que de nombreuses autres sources de savoir, de très grande qualité, ont été ignorée par souci de concision. De même, les courtes présentations ne sauraient prétendre embrasser, en quelques mots, l’intensité de la pensée des chercheurs. D’avance, merci aux lecteurs qui compléteront et enrichiront ce « catalogue ».
1. COMPRENDRE LA NATURE PROFONDE DE LA GUERRE :
Voici une sélection d’auteurs fameux dont la lecture permettra de dresser un portrait de la physionomie de la guerre.
Quelques ouvrages permettant de se familiariser avec l’approche asiatique :
- Sun Tzu : « L’art de la guerre » (Vème siècle avant JC) Un incontournable dont la lecture sera utilement complétée par la remarquable étude de Pierre Fayard : « Comprendre et appliquer Sun Tzu ».
- « Les trente-six stratagèmes : traité secret de stratégie chinoise » (dynastie Ming ?). Un précieux complément à Sun Tzu.
- Musashi Miyamoto : « Traité des cinq roues » (16éme siècle). A la fois traité du samouraï et ouvrage philosophique très dense.
Quelques ouvrages retraçant le cheminement de l’approche occidentale :
- Gérard Chaliand, Arnaud Blin : « Dictionnaire de stratégie militaire » (1998). Un excellent livre de référence, très utile pour les recherches et une présentation des concepts et auteurs les plus marquants.
- Carl Von Clausewitz : « De la guerre » (1832). Un incontournable dont la lecture n’est pas toujours aisée. Pour un décryptage contemporain, on se reportera avec profit à l’excellent « Comprendre la guerre » de Vincent Desportes (2001).
- Antoine Henri Jomini : « Précis de l’art de la guerre » (1838). Contemporain de Clausewitz, et souvent en désaccord avec lui, l’autre inspirateur essentiel des stratèges actuels.
- Ferdinand Foch : « Des principes de la guerre » (1903). Plus connu dans le grand public pour son action durant la première guerre mondiale, Foch reste l’un des plus grands théoriciens de la guerre contemporaine.
- Charles de Gaulle : « Le fil de l’épée » (1934). L’un des excellents écrits d’avant-guerre du Général où l’on perçoit toute la pertinence de sa vision stratégique.
- Basil H. Liddell Hart : « Stratégie » (1941). L’un des plus grands stratéges britanniques, avec Fuller, célèbre, entre autre, pour avoir redéfini l’approche indirecte dans l’esprit occidental.
- V. D. Sokolovsky : « Stratégie militaire soviétique » (1962). Pour se familiariser avec la pensée militaire russe, un ouvrage qui dépasse sa dimension historique.
- J. F. C. Fuller : « La conduite de la guerre » (1963). Une synthèse exceptionnelle de l’histoire de la guerre contemporaine et la mise en lumière du facteur psychologique dans la victoire.
- André Beaufre : « Introduction à la stratégie » (1963). Un texte bref et dense, un classique dont est extraite la phrase fameuse selon laquelle la stratégie est « l’art de la dialectique des volontés employant la force pour résoudre leur conflit ».
- Martin Van Creveld : « La transformation de la guerre » (1991). L’ouvrage stimulant, érudit et assez provocateur d’un des plus grands penseurs israéliens. Une lecture qui fait réfléchir et bouscule les lignes.
- Rupert Smith : « L’utilité de la force » (2005). Un titre de référence sur « la guerre au sein des populations » qui a inspiré nombre de penseurs actuels.
- Vincent Desportes : « Décider dans l’incertitude » (2007). Un remarquable traité pour appréhender les conflits contemporains écrit par l’un des penseurs français actuels le plus prolixe.
Quelques ouvrages sur la guerre contre-insurrectionnel : longtemps méprisée ou incomprise, l’étude théorique des guerres révolutionnaires est aujourd’hui incontournable. Voici quatre textes, parmi tant d’autres, qui analysent ce sujet brulant.
- Roger Trinquier : « La guerre moderne » (1961). Une analyse de l’expérience algérienne et la mise en exergue de quelques lignes de force pour lutter contre le phénomène.
- David Galula : « Contre-insurrection, théorie et pratique » (1963). Avec Trinquier, l’auteur qui inspire actuellement les stratèges américains. Un texte accessible et passionnant.
- Gérard Chaliand : « Stratégies de la guérilla » (1979). Un recueil précieux de récits historiques et d’analyses théoriques sur le phénomène.
- Jean-Luc Marret : « Techniques du terrorisme » (2002). Pour disposer d’un éclairage sur cette forme particulière de lutte.
2. COMPRENDRE LES MÉCANISMES ESSENTIELS DE LA GUERRE :
Nous entrons ici dans des sujets plus « pratiques », généralement (mais pas toujours uniquement) plus tactiques et spécialisés dans quelques domaines bien précis.
Sur l’homme dans la guerre, citons :
- Charles Ardant du Picq : « Etudes sur le combat » (1876). Une remarquable réflexion qui met l’accent sur les ressorts psychologiques qui font se mouvoir l’homme dans la bataille.
- Philippe Masson : « L’homme en guerre » (1997). Une réflexion érudite et profonde sur le combattant au 20éme siècle.
Quelques livres se concentrant sur certains aspects plus techniques :
- François Géré : « La guerre psychologique » (1997). Une lecture passionnante, comme toujours avec cet auteur, et assez exigeante sur une dimension primordiale de la mécanique conflictuelle, quelle que soit l’ampleur de l’affrontement.
- John Warden III : « La campagne aérienne » (1988). Un classique de la stratégie aérienne contemporaine, largement commenté et parfois critiqué, mais qui demeure une référence en la matiére.
- Hervé Couteau-Bégarie : « L’océan globalisé » (2007). Par un spécialiste incontesté, une excellente présentation de la stratégie maritime du 21éme siècle. Une lecture stimulante et savante sur un domaine qui doit, notamment dans le contexte français, reprendre une importance qu’il a un peu perdu.
- Eric Denécé : « Forces spéciales, l’avenir de la guerre ? » (2002). Réflexion sur l’emploi passé et actuel de ses guerriers très particuliers dont on parle tant aujourd’hui.
Sur la tactique, ses bases et ses évolutions :
- Michel Yakovleff : « Tactique théorique » (2006). Une somme exceptionnelle, fascinante et claire. Incontournable pour se familiariser avec la mécanique intime de la guerre.
- Guy Hubin : « Perspectives tactiques » (2003). Une réflexion stimulante sur les nouvelles options offertes par les technologies récentes et une invitation à dépasser les notions « classiques » de la manœuvre.
- Courrége, Givre, Le Nen : « Guerre en montagne » (2006). Ce travail collectif revient sur un milieu largement d’actualité qui a également de fortes résonnances avec la guerre urbaine.
3. ACTUALISER ET POURSUIVRE LA RÉFLEXION :
La sélection présentée plus haut, si elle mérite bien sur d’être complétée, permettra déjà au lecteur de se faire une idée assez juste du phénomène et d’approfondir certains détails particuliers.
Mais la polémologie n’est pas une science exacte ! La guerre, fille de la volonté de l’homme et expression violente de la puissance de celle-ci, ne saurait que connaître des évolutions au gré des progrès techniques, de l’intelligence des acteurs et de leurs motivations. Pour percevoir le plus justement possible les conflits actuels et leurs évolutions, il est donc nécessaire d’actualiser les connaissances acquises en consultant les travaux récents et en se maintenant informé de l’actualité pour croiser ce que l’on sait déjà avec les informations nouvelles qui nous parviennent sans cesse.
La consultation de revues spécialisées, privées ou institutionnelles, est donc vivement conseillée. Citons, entres autres, DSI, Défense national et sécurité collective, Raids, Assaut, et les publications officielles du CDEF.
Internet est aujourd’hui un outil irremplaçable de connaissance et de circulation de l’information. De nombreux sites et blogs proposent des travaux, des réflexions, des informations qu’on consultera avec profit. Les liens indiqués dans ces pages sont déjà une base acceptable dans ce but.
Terminons ce (très bref) tour d’horizon en rappelant simplement quelques évidences :
- L’étude et l’intérêt pour les conflits n’est pas une activité réservée aux seuls spécialistes ou praticiens. Parce qu’elles touchent, même furtivement, nos vies quotidiennes et hypothèquent l’avenir de nos enfants, les guerres actuelles méritent une attention accrue de la part du grand public. Le temps est finie où l’information militaire et stratégique restait l’apanage d’une poignée d’initiés : tout un chacun peut désormais, à condition d’en avoir la volonté, se renseigner de manière relativement exacte grâce aux sources ouvertes existantes et en tirer des conclusions de son cru. Se priver de cette connaissance est donc un choix laissé à la liberté de chacun. Se donner cette possibilité de l’ignorance n’est pas en soi un péché mais il semble malvenu, si on le fait, de venir se plaindre après des décisions prises par d’autres. Dans l’idéal, chaque citoyen, à son niveau et selon ses moyens et envies, devrait avoir un minimum de connaissance et d’intérêt pour ces sujets.
- L’ouverture d’esprit, voire l’esprit critique, sera toujours une qualité cruciale pour ne pas se laisser cloisonner dans des approches doctrinales qui, présentées avec talent, peuvent ressembler parfois à autant de vérités révélées. Restons libres penseurs en ces matières, quitte à avouer une ignorance momentanée et à se laisser le temps de la réflexion.
- Après toutes ces pérégrinations essentiellement livresque, n’oublions pas que le choc avec la réalité est parfois brutal, d’autant plus lorsqu’on se sera forgé de trop fortes certitudes. Là encore, et c’est particulièrement vrai pour ceux qui aspirent à devenir militaires, il est bon de garder dans son esprit une certaine souplesse qui servira à amortir la rudesse du contact avec un contexte réel pas toujours en rapport avec ce qu’on aura imaginé à l’avance.
- Enfin, bonnes lectures et bonnes réflexions à tous sachant qu’il existe bien d’autres sources que celles présentées ici.