Fonction politique et culture stratégique.

Publié le 21 avril 2008 par Francois155

Il y a des jours comme cela où, nonobstant les inévitables interférences domestiques habituelles, il devient difficile de se concentrer sur le fascinant travail qu’on s’était assigné car la pensée revient encore et toujours buter sur les mêmes ondes négatives qui s’échappent des discours de nos chers dirigeants politiques. La raison et le louable désir de faire (re)découvrir au lecteur un sujet d’importance ne peuvent dés lors fonctionner correctement car tout cela patine et s’englue sur des contingences détestables mais qu’on ne peut ignorer. Mieux vaut peut-être, dans ce cas, crever l’abcès un bon coup plutôt que de faire semblant d’ignorer l’entêtant moustique qui bourdonne bruyamment à l’oreille.

Ainsi, votre humble serviteur s’extrait-il aujourd’hui de l’étude de Roger Trinquier et de son ouvrage fondamental, « La guerre moderne », pour aborder un sujet plus trivial mais qui le turlupine (amis des contrepèteries, le fameux « cas de Corée » trouverait ici tout son sens à condition de remplacer le pays du Matin Calme, devenu homme de Dieu dans la blague fameuse, par quelques augustes figures ministérielles).

Ce blog a toujours été, je l’espère, de bonne tenue (si l’on excepte la parenthèse plus haut, un peu leste) et les invectives ne sont pas ma tasse de thé mais, comme face à un gamin irascible enfermé dans une attitude passive-agressive du plus mauvais effet, il est des jours comme celui-ci où l’envie devient pressante de distribuer force fessées, calottes et autres explications de gravures colorées et suggestives. Probablement en pure perte, convenons-en, mais cela soulage toujours sur le moment.

Comme je ne pourrais retrouver un semblant de tranquillité intellectuelle avant d’avoir verbalement châtié mes empêcheurs de cogiter en rond, je déclare donc unilatéralement et solennellement une trêve à la traditionnelle neutralité affichée ici et ouvre la boîte à gifles le temps d’un court billet. Que mes fidèles lecteurs me pardonnent cet écart mais il faut ce qu’il faut.

L’objet de mon courroux concerne, et cela ne surprendra pas les habitués de ce site, nos responsables politiques de tous bords, élus ou pas, obscurs conseillers ou emblèmes médiatiques, piliers de la majorité ou hérauts de l’opposition, ministres ou rêvant de le devenir et qui, pour beaucoup, semblent d’accord pour décréter d’une même et intelligible voix que les questions de Défense les indiffèrent, que l’armée les ennuie, que les militaires sont fatigants, que la définition postmoderne du terme « stratégie » est « ce qui me fera monter dans les sondages de demain », que les caisses sont vides ce qui implique, cela va sans dire, de venir piocher à la pelleteuse dans un budget présenté comme pharaonique et dont ils perçoivent mal l’intérêt, si ce n’est pour financer des mesures qui, stratégie quand tu nous tiens, doivent leur permettre de recouvrer l’affection de citoyens à l’humeur volage.

Honnêtement, j’en suis à me demander s’il ne faudrait pas obliger toutes ces éminences à justifier, pour prix de leurs positions élevées dans la hiérarchie républicaine, d’un minimum de culture stratégique. Manifestement, l’onction du suffrage universel, en cette ère de l’esbroufe, de la foucade, de l’instantanéité et du « coup », ne suffit pas à consacrer les plus habiles personnages aptes à servir au mieux les intérêts sur le long terme de l’Etat. Sans vouloir obliger tous ces braves gens à faire Saint-Cyr, leur demander de posséder un certain bagage intellectuel en ces matières ne semble ni démesuré, ni aberrant. Après tout, régenter les affaires suprêmes de la Nation, prendre des décisions qui impliquent la collectivité sur le long terme, savoir gérer l’incertitude des crises dans un monde en pleine réorganisation, c’est le pain quotidien de ces gens là. Comment le pourraient-ils sans connaitre et l’histoire et les penseurs qui, bien avant eux, ont exploré et défriché ces domaines ? Cela vous viendrait-il à l’idée de demander à votre garagiste de vous opérer de l’appendicite, à votre restaurateur préféré de refaire votre plomberie ou à votre dentiste de vous dresser une assurance vie aux petits oignons ?

La transversalité des compétences a des limites d’autant plus vite et tragiquement atteintes que l’on se hisse vers des sommets où les problèmes sont aussi aigues que les décisions lourdes de conséquences. Qu’un avocat d’affaires se retrouve détenteur du feu nucléaire, un médecin chef de la diplomatie et un éleveur de chevaux responsable des Armées n’est pas scandaleux en soi du moment qu’ils savent tous s’extraire de leurs anciennes fonctions pour se transcender et habiter ces nouveaux sacerdoces qu’ils ont tant appelé de leurs vœux. Or, cela n’est possible que s’ils disposent d’une base culturelle solide en matière stratégique, géopolitique et militaire. Car la politique, lorsqu’on atteint de telles sphères de pouvoir, n’est pas une fin en soi : c’est simplement un moyen qui permet de gouverner au mieux et sur le long terme. Ce qui doit guider dans ces positions c’est, comme disait à peu prés l’autre, « nous sommes élus, les ennuis commencent » et non « je suis élu, à moi la belle vie ».

Sans égrener, comme une mauvaise litanie, les décisions qui font douter voire frémir, et dans l’attente d’un Livre Blanc qui promet, si l’on en croit les rumeurs, d’ôter le sommeil à beaucoup, l’observateur se demande quelle est la vision stratégique (la vraie stratégie, n’est ce pas, et non son acceptation postmoderne présentée plus haut) de la majorité de nos responsables politiques actuels. On oscille entre trois options : l’indifférence (« bof, c’est encore utile ces trucs là ? »), l’ignorance (« la straté-quoi ? Ah oui, le redécoupage des circonscriptions électorales…») ou la mauvaise compréhension du concept (« mais puisque je vous dis que je sais ce que je fais ! » tempête Gaston Lagaffe après avoir proposé l’asile politique à 500 terroristes détenus pour des vétilles allant des enlèvements à l’assassinat en passant par le trafic de drogues, d’armes et d’êtres humains)…

Dans sa dernière chronique parue dans DSI, le fameux connaisseur Carl Von C., qui a la langue bien mieux pendue que la mienne et la main autrement plus leste lorsqu’il s’agit de distribuer les torgnoles, déplorait « les foules opprimées par leur manque d’éducation stratégique ». J’ai bien peur que l’oppression ici décrite frappe également nos élites si promptes à se prendre les pieds dans le très mince tapis culturel qu’elles devraient pourtant fouler quotidiennement et avec une aisance de bon aloi.

Mais restons-en là sur le sujet…

Comme le disaient nos cousins romains, « ira furor brevis est ».