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A quand une « grande stratégie » pour la france ?

Publié le 24 avril 2008 par Francois155

Le gouvernement actuel est arrivé au pouvoir porté par une vague de « rupture » promise, espérée, revendiquée avec force. Bien. Qui peut nier que notre cher et vieux pays devait (et doit toujours) procéder à des réajustements de tous ordres pour s’accorder avec ce nouveau siècle guidé par des forces nouvelles, fortement chaotique et difficilement prévisible ?

Mais, face des situations géopolitiques qu’on subit parce qu’elles ont été initiées par d’autres (et parce qu’on n’a pas non plus fait trop d’effort pour les anticiper, soyons justes), il existe deux réponses possibles : l’une consiste à s’adapter pour ne pas sombrer, laborieusement et à contrecœur ; la seconde vise à surmonter les premiers défis posés puis à définir sa propre réponse (réaliste et concrète, cela va sans dire) aux nouveaux aléas avant de mettre vigoureusement en œuvre les pistes défrichées dans la quête d’une stratégie intégrale ou « Grande Stratégie ». La première option, frileuse, laborieuse et toujours à contretemps du mouvement général, ne mérite plus l’examen une fois la surprise initiale dépassée. Elle ne saurait être qu’une solution d’urgence, temporaire. L’établissement et l’accomplissement d’une Grande Stratégie est en revanche une nécessité d’autant plus vitale que la tectonique actuelle, qui fait se mouvoir et s’entrechoquer les volontés (étatiques ou non) de manière plus ou moins sanglante, finira bien par aboutir à une organisation où nous devrons trouver toute notre place.

Cette future posture dans un environnement nouveau, la Grande Stratégie nous aidera à la trouver à condition de faire l’effort d’en déterminer dés à présent les grands axes. Mais de quoi parlons-nous au juste ?

Pour le général Desportes, ce concept implique « en temps de paix comme en temps de guerre, de rassembler et de combiner l’ensemble des ressources et des instruments nécessaires au succès des fins politiques nationales ». Selon lui, la « stratégie nationale » ainsi définie embrasse les domaines économiques, psychologiques, politiques et militaires qui tendent tous vers un même but. On peut discuter de ces composantes, bien sur. A titre d’exemple, le général Gambiez en reconnait cinq : diplomatiques, économiques, scientifiques, spirituelles et militaires. Mais, quels que soient les éléments retenus, il s’agit toujours, pour reprendre l’expression de Beaufre, de répondre « au souci de réunir dans un système de pensée unique[i] l’extrême diversité des procédés employés, qu’ils soient militaires ou non ». Enfin, pour employer une formulation plus clausewitzienne, on citera à nouveau Vincent Desportes : « l’art de combiner les fins, les voies et les moyens de toute nature pour la réalisation du projet politique ».

La Grande Stratégie implique donc un très important travail en amont pour définir les moyens dont nous disposons (ou dont nous voulons disposer pour réussir), les voies que nous souhaitons (ou, plus vraisemblablement, que nous pouvons) emprunter pour atteindre des fins que nous nous fixons comme les objectifs qui servent au mieux nos intérêts. Un tel travail ne peut se faire ni dans la précipitation, ni à la légère. Un bon exemple de « rupture » serait d’entreprendre sans délai la définition de notre Grande Stratégie, en y associant les volontés les plus vastes et les plus diverses pour obtenir un résultat optimal. Une fois ce préliminaire indispensable accompli, il faudra bâtir les outils, initier les réformes, mettre en place les conditions qui rendront possible le déploiement de cette stratégie globale. Enfin, il faudra s’y tenir dans la durée, sachant qu’une bonne approche laisse toujours une marge de manœuvre suffisante pour l’adaptation à des scenarii que nous n’aurons pu prévoir.

Bien sur, dans le contexte géopolitique particulier qui est le nôtre (intégration dans l’Union Européenne, implication plus grande dans l’Alliance Atlantique, entres autres), il faudra tenir compte des interactions et contraintes que nous imposent certains engagements. Mais, justement dans cette période de grande incertitude (pour ne pas dire de tâtonnement), l’établissement et la révélation de cette orientation stratégique globale prise sur le plan national servira autant à clarifier nos prises de position sur la scène mondiale que, pourquoi pas, d’exemple à suivre pour certains de nos partenaires et alliés.

En tout état de cause, il n’est jamais préjudiciable de réfléchir, d’anticiper, de s’adapter, non sous la contrainte et en traînant des pieds mais de manière volontariste et en prenant les devants, pour servir au mieux les intérêts de notre pays sur le long terme. Au lieu de fractionner les problèmes et, pour chacun, de monter des usines à gaz servant des intérêts particuliers, une vision « intégrale » des choses peut nous aider à naviguer plus fermement sur les flots chaotiques d’un monde qui se réorganisera fatalement, à notre avantage ou pour notre plus grand désarroi.

Le politique seul peut initier une telle « rupture » et rassembler les énergies nécessaires à la définition des « réformes » indispensables pour l’établissement de cette stratégie à longue échéance.

Un objectif ambitieux, certes, mais gouverner c’est prévoir.

[i] Le terme de « pensée unique » ne doit pas ici être pris dans son acceptation restrictive actuelle mais, à l’inverse, comme une quête intellectuelle et matérielle globale servant à définir une direction politique cohérente et dynamique car s’appuyant sur tous les axes de force de la Nation.


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