Jour de réception
Tout aspirant-arriviste littéraire qui se respecte a un jour
de réception.
À quoi sert ce jour de réception ? À recevoir, parbleu,
comme son nom l’indique, à recevoir toutes sortes de gens, des amis, des
ennemis, de préférence des ennemis. Mais à quoi bon les recevoir puisqu’ils
sont vos ennemis ? Parce qu’un ennemi que vous attirez chez vous est déjà
plus qu’à demi vaincu. Accablez-le de politesses, faites-lui des compliments,
il doit sortir de votre logis complètement englué d’éloges.
Un jour de
réception, c’est indispensable. On y apprend tous les potins… utiles et
agréables, on n’a pas ainsi besoin de courir après eux. Ils viennent à vous,
vous n’avez qu’à les transcrire. Faut-il offrir du thé, des liqueurs, des
gâteaux, un jour de réception ? C’est inutile, laissez ça à
Mme Valentine de Saint-Point ou à Mme la duchesse de Rohan qui en ont
les moyens. Ce ne sera pas pour se restaurer qu’on viendra chez vous, mais bien
pour éreinter les confrères. Vous pourrez même mettre sur les
invitations : « On bavera ».
Les aspirants qui n’ont pas de
fortune vont s’imaginer qu’ils ne peuvent pas recevoir, parce qu’ils logent
dans une écurie abandonnée ou dans une chambre mansardée au 8e.
Quelle grossière erreur ! On reçoit partout. Plus l’endroit est original,
plus on y va. Nous avons connu un plus que parfait arriviste littéraire qui
recevait dans une petite baraque Collet sur les fortifs. Il y avait foule.
P.-S. La présentation de cette série d'articles publiés dans L'Aurore en 1914 se trouve ici. Ils ont été retrouvés grâce à Gallica.