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« la guerre moderne » par roger trinquier – une fiche de lecture commentée - 1

Publié le 04 mai 2008 par Francois155

« La guerre est un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté. Elle s’accompagne de restrictions infimes, à peine dignes d’être mentionnées, et qu’elle impose, sous le nom de « droit des gens », mais qui n’affaiblissent pas sa force. La violence physique est donc le moyen, la fin d’imposer sa volonté à l’ennemi. (…) L’on ne saurait introduire un principe modérateur dans la philosophie de la guerre sans commettre une absurdité. »

Carl Von Clausewitz

« Dans la guerre moderne comme dans les guerres classiques d’autrefois, c’est une nécessité absolue d’employer toutes les armes dont se servent nos adversaires ; ne pas le faire serait une absurdité ».

Roger Trinquier

NB : Il est hélas assez habituel de constater que l’apport de Roger Trinquier à la compréhension et à la pratique de la guerre contre-insurrectionnelle est volontiers travesti par certains commentateurs. « Apologie de la torture », « retourner contre la guérilla ses propres méthodes » sont quelques-unes des simplifications courantes qu’on retrouve chez ses détracteurs, soit qu’ils n’aient pas réellement lu l’ouvrage ici commenté, soit qu’ils soient politiquement orientés. François Géré, dans sa remarquable préface, fait un sort salutaire à ces légendes tenaces. Une autre erreur commune, cette fois-ci chez de trop fervents admirateurs, est de tenter de transposer les méthodes préconisées par l’auteur dans un contexte qui ne s’y prête pas.

Dans cette fiche de lecture, nous tenterons de ne pas tomber dans les approximations en présentant de la manière la plus fidèle possible ce qu’est « la guerre moderne » après quoi, seulement, nous reviendrons dessus à l’aune des expériences actuelles et de l’apport des autres analystes des « guerres subversives », à l’instar de Galula. Comme ce dernier, Trinquier est l’un des principaux inspirateurs des stratèges et tacticiens contemporains, notamment anglo-saxons[i], de la contre-insurrection. Son étude est donc d’une actualité certaine, sachant néanmoins qu’on ne peut complètement extraire l’œuvre de son contexte historique[ii] ni de l’expérience tactique, immense, de son auteur. C’est à l’aune de ces réalités qu’il convient de décrypter ces réflexions pour en retirer les éléments utiles et, aussi, en révéler quelques limites.

Il va de soi que les polémiques stériles sur la personnalité de l’auteur, ses choix politiques ou la brutalité des moyens qu’il préconise n’ont pas leur place ici. C’est avec un regard froid, pragmatique et le plus neutre possible que nous tenterons de souligner les lignes de force de l’ouvrage ainsi que ses possibles faiblesses.

Par commodité, ce travail sera divisé en trois parties : les deux premières seront consacrées à la présentation de l’ouvrage proprement dit, tandis que nous commenterons les orientations prescrites dans un dernier temps.

PREMIERE PARTIE : La préparation à la guerre.

Dés le début de l’ouvrage, dans le contexte historique qui est le sien[iii], Roger Trinquier insiste sur la nécessaire adaptation de l’outil militaire français à la nouvelle donne des « guerres subversives » ou « révolutionnaires », des confrontations qu’il définit comme « un ensemble d’actions de toutes natures (politiques, sociales, économiques, psychologiques, armées, etc.) qui visent le remplacement du pouvoir établi par un autre régime ». Dans la guerre moderne, « la victoire ne dépend plus uniquement d’une bataille sur le terrain », mais « le moyen essentiel pour vaincre (…) est de s’assurer l’appui inconditionnel des populations ». L’adversaire, dans ce but, va utiliser deux outils essentiels : une organisation clandestine arméenous ne nous heurtons pas à une armée organisée suivant les normes habituelles, mais à de faibles éléments armés agissant clandestinement au sein d’une population manipulée par une organisation spéciale ») et le terrorisme.

1. Le terrorisme, arme capitale de la guerre moderne :

Pour l’auteur, c’est « l’arme essentielle » qu’il traite d’ailleurs comme « une arme de guerre ». Cette inclusion volontaire du terrorisme dans le champ de l’action militaire est essentielle à la bonne compréhension de la pensée de Trinquier sur ce point. En effet, les outils judiciaires et policiers habituels sont mal préparés à cet ennemi s’ils ne le traitent pas comme un combattant en tant que tel, c'est-à-dire un soldat irrégulier qui sert la cause globale de la lutte au même titre que les autres combattants et, selon l’auteur, de la manière la plus efficace possible : « le terroriste ne doit donc plus être considéré comme un criminel ordinaire. (…) Le terroriste est devenu un soldat comme l’aviateur, le fantassin ou l’artilleur ». Cette précision conditionne en partie le traitement qui lui sera réservé en cas de capture : le soldat sait bien qu’il risque la souffrance et la mort ; « or, le terroriste prétend aux mêmes honneurs, mais il refuse les mêmes servitudes ». Donc, « il faut qu’il sache que lorsqu’il sera pris, il ne sera pas traité comme un criminel ordinaire, ni comme un prisonnier fait sur le champ de bataille »[iv]. Ainsi, au cours de son interrogatoire, il sera peu questionné sur les attentats qu’il a pu commettre (ce qui relèverait du travail judiciaire), mais en tant qu’acteur essentiel, et hautement irrégulier, d’une organisation ennemie sur laquelle il détient des renseignements cruciaux. Et c’est bien « comme dans toute guerre, la destruction de l’armée adverse ou sa soumission » qui est ici recherchée. Il sera donc interrogé sur ses contacts dans l’appareil clandestin ; s’il refuse de parler, « des spécialistes devront, par tous les moyens, lui arracher son secret. Il devra alors, comme le soldat, affronter la souffrance et peut-être la mort qu’il a su éviter jusqu’alors. (…) Ceci, le terroriste doit le savoir et l’accepter comme un fait inhérent à son état et aux procédés de guerre qu’en toute connaissance de cause ses chefs et lui-même ont choisi. L’interrogatoire terminé, il aura sa place parmi les soldats. Il sera désormais un prisonnier de guerre comme les autres et mis dans l’impossibilité de reprendre les hostilités jusqu’à la fin du conflit ».

2. Définition de l’adversaire :

L’ennemi, dans la guerre moderne, non seulement vit au sein de nos sociétés, mais va même utiliser à son profit les failles de la légalité existante pour préparer impunément ses actions et asseoir son emprise sur la population avant même le déclenchement des hostilités, notamment par la mise en place d’une organisation politique. De toute façon, puisque la guerre moderne n’est jamais officiellement déclarée, l’ennemi continue à bénéficier d’une législation de temps de paix. « Cette fiction de paix, essentielle à la poursuite de leur dessein, ils s’efforcent pas tous les moyens de la préserver ». Le gouvernement loyaliste aura donc intérêt à déclarer l’état de guerre le plus tôt possible, « au plus tard lorsque les premiers symptômes de la lutte se seront révélés ». « Dès lors, tout parti qui a soutenu, ou qui soutient nos adversaires, sera considéré comme le parti de l’ennemi. Derrière le gouvernement et son armée, la nation attaquée ne fera qu’un bloc. (…) Toute propagande qui porterait atteinte à son moral, en lui faisant douter de la nécessité de ses sacrifices, devra être impitoyablement réprimée ».

3. La défense du territoire, idées générales :

L’idéal, pour le gouvernement, est d’avoir forgé, dès le temps de paix, les armes qui lui permettront de faire échec aux entreprises de l’ennemi dans le contexte particulier de la guerre moderne. Ceci passe par la mise en place de deux dispositifs : le premier doit permettre, en organisant de manière méthodique la population, « d’assurer sa protection en lui donnant les moyens de se défendre, particulièrement contre le terrorisme » ; le second, résultant directement de l’organisation précédemment créée, permettra, grâce à un service de renseignement efficace, « de détecter les éléments que nos ennemis s’efforcent d’introduire sur notre territoire pour préparer la lutte ouverte ».

« Enfin, si les hostilités ont été déclenchées, c'est-à-dire si le terrorisme et la guérilla se sont installés sur une portion importante de notre territoire, nous devrons les combattre avec des moyens appropriés, mais qui seront d’autant plus efficace qu’ils auront été étudiés et mis en place dés le temps de paix ».

DEUXIEME PARTIE : La conduite de la guerre

1. Aspect politique de la guerre.

1.1. Idées générales :

Les mesures préconisées dans la première partie avaient pour but d’empêcher l’adversaire de réunir les conditions nécessaires à l’engagement de la lutte ouverte. S’il peut déclencher les hostilités visant à « renverser le pouvoir établi et le remplacer par son propre système », c’est que « le mal sera (…) profond et étendu ». « Il ne pourra être extirpé qu’avec des moyens puissants, une ferme intention de vaincre et de longs délais ».

La guerre désormais déclenchée revêtira donc deux aspects : un aspect à caractère politique action directe sur les populations ») et un autre à caractère militaire la lutte contre les forces armées de l’agresseur »).

1.2. Action directe sur les populations :

« Les opérations de guerre à l’intérieur des populations (…) se ramèneront généralement à une vaste opération policière. Elles seront accompagnées d’une action psychologique menée en profondeur (…) et suivies d’une large action sociale (…) pour leur permettre, après les opérations, de reprendre rapidement une activité normale. »

1.2.1. Les opérations policières :

Comme l’ennemi utilise avant tout l’arme du « terrorisme appuyé par une organisation de guerre », il faudra détruire son appareil ce qui, dans les villes, prendra l’aspect d’opérations policières. « Elles seront du ressort des forces de la police si elles disposent des moyens suffisants ; dans le cas contraire, l’armée les reprendra à son compte. » De facto, l’auteur propose une collaboration active entre les deux forces : pendant que l’armée jettera sur la ville « un immense filet », la police entreprendra l’organisation de la population (telle que décrite précédemment) ainsi que la mise en place d’unités de renseignements efficaces (s’articulant autour d’un service de « renseignements en surface » et d’un service de « renseignement - action »). Le but est bien d’opposer une organisation combattante loyaliste à celle de l’adversaire.

1. 2. 2. Conduite d’une opération policière :

Pour protéger la population des visées adverses, il faut extirper l’organisation clandestine qui quadrille les lieux d’habitation ; le recensement de la population, son organisation en îlot et en quartiers (avec un chef pour chaque strate), l’emploi conjoint de l’armée et de la police feront tomber bientôt aux mains des forces loyalistes des « chefs » dont les connaissances seront aussitôt utilisées. Peu à peu, coupées de la population bien encadrée par les éléments loyaux, limitées dans leurs mouvements par des couvre-feux, désorganisées puis découvertes par les aveux des responsables, les cellules tomberont les unes après les autres.

Ce type d’opération « au cœur des populations » n’est pas sans poser trois gros problèmes : le système d’incarcération de temps de paix ne sera pas compatible avec les arrestations massives (« dés l’ouverture des hostilités, des camps de prisonniers devront être aménagés, répondant aux conditions exigées par la Convention de Genève ») ; le système judiciaire de temps de paix, lui-même devra être dépassé par la proclamation de l’état de guerre ; une discipline implacable doit régner dans les unités de maintien de l’ordre, car les opérations se dérouleront au contact des populations.

1.2.3. L’action psychologique :

« Nos buts de guerre devront être nettement connus de la population. Elle devra être convaincue que, si nous l’appelons à se battre à nos côtés, ce ne peut-être que pour défendre une cause juste. Et nous ne devons pas la tromper ». Au début des opérations, l’organisation clandestine encore puissante rendra difficile, voire impossible, la compréhension de messages trop complexes par la population : « c’est seulement lorsque nous l’aurons délivrée de ce mal qu’elle pourra librement écouter, penser, s’exprimer. (…) Mais, avec le retour progressif, l’action psychologique aura un grand rôle à jouer pour faire comprendre à la masse la foule de problèmes à résoudre pour ramener rapidement à une vie normale des populations parfois très éprouvées ».

1.2.4. L’action sociale :

« Lorsque la paix aura été rétablie, même sur une faible portion du territoire, une action sociale large et généreuse aura une importance capitale pour ramener à nous des populations malheureuses et souvent désorientées par des opérations de guerre qu’elles n’auront pas toujours comprises ».



[i] La bibliothèque de Fort Leavenworth met d’ailleurs gracieusement en ligne le texte intégral, en anglais, de « La guerre moderne » à destination de ses étudiants.

[ii] Pour une biographie détaillée de l’auteur, on se reportera à cette présentation.

[iii] Cet ouvrage est paru en 1961 alors que Trinquier avait été rappelé en métropole en juillet 1960 après avoir servi presque sans interruption pendant quatre ans en Algérie. Lors de la bataille d’Alger, il est notamment l’adjoint du général Massu, alors à la tête de la 11éme DP.

[iv] Pour justifier cette brutalité, Trinquier rappelle aussi l’exemple de la Résistance : « les résistants en France sous l’occupation violaient les lois de la guerre. Ils savaient qu’elles ne leur seraient pas appliquées et étaient parfaitement conscients des risques auxquels ils s’exposaient. Leur gloire, c’est de les avoir, en toute connaissance de cause, sereinement affrontés ».


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