Responsabilité du maître d'ouvrage à l'égard du sous-traitant

Publié le 04 mai 2014 par Christophe Buffet

Voici un nouveau cas d'application de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 :

"Vu l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 2 avril 2012), que la société Emmaüs habitat a confié à la société Bouygues bâtiment Ile-de-France, entrepreneur principal, aux droits de laquelle se trouve la société Brezillon, la réalisation de travaux de construction et de réhabilitation de bâtiment ; que la société Bouygues a sous-traité les travaux de plomberie-chauffage-ventilation à la société Cormier, devenue société ETC bâtiment, qui a sous-traité les notes de calcul et les plans d'exécution à la société Cabinet Bringer ; que deux factures établies par la société Cabinet Bringer n'ont pas été payées ; qu'après la mise en liquidation judiciaire de la société ETC bâtiment, la société Cabinet Bringer a assigné la société Emmaüs habitat en paiement de sommes ;

Attendu que pour la débouter de sa demande, l'arrêt retient qu'il n'est nullement établi que la société Emmaüs habitat ait eu connaissance en temps utile de l'existence de la société Cabinet Bringer en tant que sous-traitant puisqu'il s'agissait d'un bureau d'études non présent sur le chantier, qu'il est constant que la société Emmaüs habitat n'a appris l'existence de la société Cabinet Bringer que par lettre recommandée que celle-ci lui a adressée le 4 septembre 2006 alors que sa prestation de bureau d'études était achevée depuis le mois de novembre 2005 et le chantier terminé en ce qui la concernait et que c'est à bon droit que les premiers juges ont débouté la société Cabinet Bringer de ses demandes à l'encontre de la société Emmaüs habitat qui n'a commis aucune faute ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le maître de l'ouvrage est tenu des obligations instituées par l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 dès qu'il a connaissance de l'existence du sous-traitant, nonobstant son absence sur le chantier et l'achèvement de ses travaux ou la fin du chantier, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 avril 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;

Condamne la société Emmaus habitat aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Emmaüs habitat à payer à la société Cabinet Bringer la somme de 3 000 euros ; rejette les autres demandes ; 

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze septembre deux mille treize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Foussard, avocat aux Conseils, pour la société Cabinet Bringer

L'arrêt attaqué encourt la censure ;

EN CE QU'il a, confirmant la décision des juges de première instance, débouté la société CABINET BRINGER de sa demande en paiement des factures et indemnités à l'encontre de la société EMMAUS HABITAT, maitre de l'ouvrage ;

AUX MOTIFS QUE « les moyens soutenus par la société CABINET BRINGER ne font que réitérer, sans justification complémentaire utile, ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels ils ont répondu par des motifs pertinents et exacts que la cour adopte sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation ; Qu'il convient seulement de souligner que le sous-traitant est considéré comme entrepreneur principal à l'égard de ses propres sous-traitants, conformément aux dispositions de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1975 ;Que' en l'espèce, la société CABINET BRINGER était le sous-traitant de la société CORMIER, elle-même sous-traitante de la société BOUYGUES IDF aux droits de laquelle vient maintenant la société BREZILLON ; qu'elle avait donc la qualité de sous-traitant de second rang et qu'il appartenait dès lors à la société CORMIER, sous-traitant de 1" rang, de faire accepter par le maître de l'ouvrage, la société EMMAUS HABITAT, ses conditions de paiement ; qu'aucune obligation concernant la société CABINET BRINGER n'incombait à la société BOUYGUES IDF devenue la société BREZILLON ; Que le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies à l'article 5 de la loi du 31 décembre 1975, mettre l'entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s'acquitter de ses obligations, ainsi que le prévoit l'article 14-1 de la même loi ;Que la société CORMIER qui avait l'obligation de faire accepter la société CABINET BR1NGER et agréer ses conditions de paiement par la société EMMAUS HABITAT ne l'a pas fait ; Qu'il n'est nullement établi que la société EMMAUS HABITAT ait eu connaissance en temps utile de l'existence de la société CABINET BRINGER en tant que sous-traitant puisqu'il s'agissait d'un bureau d'études non présent sur le chantier ; qu'au contraire, il est constant que la société EMMAUS HABITAT n'a appris l'existence de la société CABINET BRINGER que par la lettre recommandée que celle-ci lui a adressée le 4 septembre 2006 alors que sa prestation de bureau d'études était achevée depuis le mois de novembre 2005 et le chantier terminé en ce qui la concernait (facture définitive du 30 novembre 2005) ; Que c'est donc bon droit que les premiers juges ont débouté la société CABINET BRINGER de ses demandes à l'encontre de la société EMMAUS HABITAT qui n'a commis aucune faute » ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE : « l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 stipule que « Le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies à l'article 5, mettre l'entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s'acquitter des ses obligations ; Attendu que CORMIER, qui avait l'obligation, au titre de cette loi, de faire accepter BRINGER et agréer ses conditions de paiement par EMMAUS, ne l'a pas fait. Attendu que les documents produits aux débats par BRINGER n'apportent pas la peuve qu'EMMAUS ait eu connaissance de son intervention sur le chantier. Attendu que son intervention était difficile à connaître du fait que son personnel n'était pas présent sur le chantier. Attendu qu'il appartenait aussi à BRINGER de s'assurer que CORMIER avait bien respecté son obligation auprès du maître de l'ouvrage et de la mettre en demeure si elle ne l'avait pas fait. Attendu qu'elle n'a signalé son intervention à EMMAUS que par sa lettre recommandée du 4 septembre 2006 alors que ses prestations étaient achevées. En conséquence le Tribunal ne retiendra pas la responsabilité du maître de l'ouvrage EMMAUS dans la non-déclaration de BRINGER comme sous-traitant de CORMIER intervenant sur le chantier et déboutera BRINGER de dédommagement de son préjudice au titre de la non-déclaration et de toutes ses autres demandes » ;

ALORS QUE, premièrement, pour mettre en jeu la responsabilité du maitre de l'ouvrage sur le fondement de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, il suffit que le maitre de l'ouvrage ait pu identifier le sous traitant, peu important que sa présence sur le chantier soit effective ou non ; en considérant, pour écarter la faute de la société EMMAUS HABITAT, que cette dernière ne pouvait avoir connaissance de la présence de la société CABINET BRINGER en tant que sous traitant « puisqu'il s'agissait d'un bureau d'études non présent sur le chantier » (arrêt p. 8, alinéa 3), les juges du fond ont statué par motif inopérant et violé l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, ensemble l'article 1382 du code civil ;

ALORS QUE, deuxièmement, le maitre de l'ouvrage commet une faute si, ayant connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier, il s'abstient de mettre en demeure l'entrepreneur principal ou le sous-traitant de s'acquitter de ses obligations, peu important le moment de cette connaissance ; qu'en retenant néanmoins, pour rejeter l'action de la société CABINET BRINGER, qu' « il est constant que la société EMMAUS HABITAT n'a appris l'existence de la société CABINET BRINGER que par lettre recommandée que celle-ci lui a adressée le 4 septembre 2006 alors que sa prestation de bureau d'étude était achevée et sa prestation terminée » (arrêt p. 8, alinéa 3), les juges du fond ont ajouté une condition à l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 et partant violé ledit article, ensemble l'article 1382 du code civil."