Suite de la première partie.
2. Aspect militaire de la guerre.
2. 1. Idées générales :
Dans les villes, la guerre moderne utilisera le terrorisme appuyé par l’organisation clandestine pour contrôler la population. Dans les campagnes, c’est la guérilla qui permettra aux révolutionnaires de se déployer et de gagner en influence. Mais « la guérilla et le terrorisme ne sont qu’un des stades de la guerre moderne, destinée à créer une situation favorable permettant la mise sur pied d’une armée régulière, en mesure d’affronter une armée ennemie sur un champ de bataille et de la vaincre. (…) Le but de la guérilla (…) ne sera donc pas tellement d’obtenir des succès locaux que de créer un climat d’insécurité pour obliger les forces de l’ordre à se retirer dans les zones plus facilement défendables ».
« La guerre moderne, comme les guerres classiques du passé, ne se terminera en définitive que par l’écrasement sur un champ de bataille d’une des deux armées, ou par sa capitulation matérialisée par l’abandon de ses buts de guerre ».
2.2. Les erreurs habituellement commises…
Roger Trinquier récuse pareillement deux voies proposées pour lutter contre la guérilla : celle qui se propose de l’imiter et les méthodes traditionnelles employées jusque-là.
Pour ce qui est du premier point, l’auteur est clair : « tenter d’employer les moyens de la guérilla que nous ne possédons pas, ou que nous n’avons pas la possibilité de mettre en œuvre, c’est nous condamner à négliger l’emploi de ceux que nous possédons et qui peuvent être d’une efficacité certaine ».
De même, « les procédés couramment employés contre la guérilla : postes militaires ; commandos autonomes ou patrouilles détachés de ces postes ; embuscades isolées ; opérations dites de « grande envergure » n’obtiennent que très rarement, accidentellement le plus souvent, les résultats escomptés ». Toutes ces techniques échouent, car elles ne s’attaquent pas au point fort des guérilleros : « l’appui de la population est (…) capital (…) : il nous interdit, en particulier, de réaliser contre lui la surprise, facteur essentiel du succès au combat ».
2.3. Le problème de la guérilla, ses moyens et les nôtres :
Face à un adversaire pratiquement dépourvu de matériel moderne et dont les cadres et la troupe ne disposent en général que d’une formation militaire rudimentaire, la solution pour l’armée régulière n’est pas tant d’augmenter les moyens : « c’est l’emploi de ces moyens que nous devons complètement réviser ».
L’auteur propose, pour affronter avec succès la guérilla, de mener une réflexion sur quatre axes : étudier les moyens dont elle dispose ; « étudier les moyens et les possibilités dont nous disposons ; rechercher les points faibles de la guérilla et y appliquer le maximum de nos moyens ; tirer de cette étude des principes généraux qui nous permettront de mettre au point une méthode simple pour préparer et conduire avec succès les opérations contre la guérilla ». De cet examen des deux acteurs, il ressort que les points forts de l’insurgé sont « une connaissance parfaite d’une région qu’elle a choisie et de ses possibilités ; le soutien que lui apporte l’habitant ». L’armée classique dispose, pour sa part, « d’une grande supériorité numérique et matérielle et des facilités de ravitaillement pratiquement illimitées ; des possibilités de commandement et de manœuvres étendues grâce à des moyens modernes de transmission et de transport ».
Le guérilléro utilise donc à fond un terrain qu’il maitrise (« il perd une grande partie de sa valeur dans une région nouvelle ou inconnue ») et une population qu’il contrôle. En conséquence, le loyaliste devra agir selon trois principes : « couper les guérilleros de la population qui les soutient ; rendre intenables les zones de maquis ; pour que les mesures prises donnent les résultats attendus, agir simultanément sur une grande étendue et pendant le temps nécessaire qui peut être très long ».
2.4. La conduite des opérations contre la guérilla :
Ce chapitre, particulièrement détaillé et important, ne pourra cependant, sauf à alourdir un résumé déjà long, faire l’objet d’une description exhaustive. On se contentera de relever les principes les plus importants en encourageant le lecteur à se reporter au texte intégral pour le détail des manœuvres prescrites.
Trinquier définit trois zones clés qui jouent chacune un rôle pour les forces insurgées et contre lesquelles les loyalistes devront appliquer des méthodes distinctes : les villes ou agglomérations importantes (lieux de collecte de fonds, de propagande, de renseignements et d’emploi du terrorisme) ; les « Campagnes Habitées » (moins bien contrôlées par l’armée régulière, ce sont des zones clés pour le ravitaillement et l’hébergement des insurgés) ; les Zones Refuges (situées dans des régions très difficiles d’accès, spécialement organisées pour le stationnement des bandes). De cette répartition, il ressort que « la partie la plus vulnérable de l’organisation ennemie se trouve dans les villes. (…) Mais l’objectif le plus rentable à atteindre sera la destruction de l’organisation politico-militaire des Campagnes Habités ». En effet, privés du soutien logistique procuré par les habitants, forcés de se retirer dans les zones refuges, les guérilleros rencontreront les pires difficultés à maintenir leur influence sur la société, contrôle qui est la clé et l’issue du conflit.
L’auteur l’a déjà fait remarquer : ce ne sont pas tant les moyens de l’armée classique qui posent problème que les méthodes qu’elle utilise. Pour combattre efficacement, il préconise une spécialisation des troupes divisées en trois grandes familles d’unité : les unités du quadrillage (chargées d’occuper durablement les villes, les points sensibles et d’assurer la sécurité des axes de circulation, elles cloisonnent la zone ennemie et détruisent son organisation en employant les voies décrites dans le chapitre sur les opérations policières) ; les unités d’intervalle (nomades, capables de se disperser puis de se regrouper rapidement, elles doivent détruire l’organisation politico-militaire de la zone des campagnes habitées, regrouper puis organiser les populations dispersées pour les mettre à l’abri de l’influence des insurgés) ; les unités d’intervention (des troupes de choc, parfaitement entraînées à la guerre moderne et menées par les cadres les plus dynamiques, elles sont capables de traiter en urgence les régions les plus menacées et celles où l’occupation adverse est la plus dense).
En résumé, la guérilla se manifeste militairement en opérant par petites bandes relativement autonomes, sur un terrain qu’elle a choisi, appuyée par un renseignement de qualité. Ces atouts font d’elle un ennemi « invisible, fluide, insaisissable. Pour l’atteindre nous n’avons pas d’autre solution que de jeter un immense filet aux mailles solides sur toute la zone où les bandes se déplacent ». Les opérations ne réussiront que si « elles sont conduites sur une grande échelle, si elles durent le temps nécessaire, et si elles sont minutieusement préparées et dirigées ».
Citant le colonel E. Beebe, Trinquier rappelle « une opération de contre-guérilla n’est terminée que lorsqu’il n’y a plus de guérilleros et non lorsque la guérilla a été désorganisée et dispersée ». Ce à qui il rajoute : « lorsque la totalité des organisations de guerre ennemies auront été détruites et les nôtres mises en place ».
TROISIEME PARTIE : Porter la guerre chez l’adversaire.
Dans la guerre moderne, l’adversaire va continuellement s’efforcer, en même temps qu’il mène l’offensive contre les forces loyalistes, de gagner à sa cause des puissances étrangères qui, bien que non officiellement belligérantes, lui apporteront un soutien souvent vital, qu’il soit politique ou matériel. Lorsque ce pays « complice » est frontalier, la guérilla pourra y installer des camps d’entrainement, y puiser de l’armement et de la logistique. Chacun sait le rôle joué par la Chine communiste pour le soutien au Viet Minh, par exemple.
Or, les bases ennemies installées à l’extérieur des frontières où l’armée régulière peut légalement opérer, non seulement restent hors de sa portée, mais constitueront en plus un foyer de renouvellement permanent. Elles doivent donc être détruites et le ou les pays qui supportent l’ennemi subiront eux-mêmes les effets de ce qu’ils contribuent à entretenir pour les dissuader de poursuivre dans cette voie.
Mais c’est ici que les moyens de la guerre classique trouvent leurs limites : sauf à se lancer dans d’interminables et incertains conflits conventionnels, il ne saurait être question d’employer contre ces pays des procédés de lutte traditionnels.
L’adversaire connaîtra alors la guerre moderne que le loyaliste portera sur son territoire même en formant des cadres, en recrutant les mécontents, en entretenant des maquis, en menant contre lui les procédés qu’il soutient chez son voisin : « attaqués sur notre propre territoire nous devrons, d’abord, nous défendre avec des moyens appropriés ; ensuite, nous riposterons énergiquement en portant la guerre chez nos adversaires et en ne leur laissant aucun répit jusqu’à la capitulation ».
Bien sûr, cette activité de formation et de soutien aux éléments insurgés dans le camp adverse ne saurait se faire au grand jour, mais bien dans la clandestinité la plus totale. « Certes, nos adversaires ne seront pas dupes, ils sauront d’où viennent les coups. Mais leurs protestations n’auront pas plus d’écho que les nôtres ».
CONCLUSION :
Pour l’auteur, la guerre moderne qu’il décrit n’est pas une aberration où une déviance de la guerre classique : elle en est une simple évolution à laquelle l’armée doit savoir s’adapter sous peine de connaître la défaite.
Dans cette nouvelle forme de lutte, « la guerre sera la juxtaposition d’une multitude de petites actions. À la puissance d’un armement aveugle, succéderont la ruse et l’intelligence alliées à la brutalité physique ».
Pour bien illustrer son propos, Trinquier fait une comparaison avec la chevalerie française, vaincue par les archers anglais : « si, à l’exemple des chevaliers, notre armée refusait d’employer toutes les armes de la guerre moderne, elle ne pourrait plus remplir sa mission. »