Qu'est-ce qu'un récit? C'est la question que je me suis posée, pour la énième fois, en lisant le recueil de sept récits que vient de publier Jean Echenoz, sous le titre de l'un d'entre eux, Caprice de la reine.
En l'occurrence ces récits sont courts. Le plus long, Génie civil, fait une trentaine de pages. Alors, pourquoi ne pas les avoir baptisés nouvelles? Peut-être parce qu'ils ne racontent pas tous des fictions et qu'ils n'ont pas tous une chute.
Ces sept récits, plus ou moins modifiés, ont tous été déjà publiés dans des ouvrages ou des périodiques. Ils sont très dissemblables, mais ont pour point commun d'évoquer des lieux géographiques.
Nelson est l'histoire en raccourci de l'amiral anglais tué lors de sa victoire de Trafalgar contre les Français. Elle tourne autour des liens que ce marin avait avec son manoir du Suffolk et autour de ses handicaps qui ne l'empêchaient pas d'avoir une vision d'avenir.
Caprice de la reine est un exercice de description d'un paysage vu d'une terrasse en opérant "un mouvement de rotation depuis le sud vers l'est puis vers le nord, etc., dans le sens contraire des aiguilles d'une montre", en procédant à un tour complet, pour finir par regarder à terre.
Babylone est le récit de voyage d'Hérodote dans cette ville mythique. Jean Echenoz en fait une lecture critique, soulignant les exagérations et les lacunes de cette visite guidée, car Hérodote n'est pas toujours historien, mais explorateur, et ne comprend même peut-être pas toujours ce qui lui est dit sur place en assyrien.
Vingt femmes dans le jardin du Luxembourg et dans le sens des aiguilles d'une montre est la description précise, anthropométrique, des vingt statues de reines, régentes, duchesses et femmes célèbres situées autour du bassin de ce jardin qui jouxte le Sénat à Paris (il faudra que j'y retourne avec le bouquin d'Echenoz à la main): description générale, coiffure, bijoux éventuels, expression.
Génie civil est l'histoire d'un ingénieur en génie mécanique qui a passé une partie de sa vie à construire des ponts, puis, devenu veuf et entreprise vendue fortune faite, raconte l'histoire des ponts, puis en fait le tour des plus caractéristiques dans le monde entier pour affiner ses connaissances.
Nitrox est le récit d'une jeune femme, Céleste Oppenheim, qui, vêtue d'un équipement de plongée, quitte à la nage un petit sous-marin pour se rendre dans un endroit figurant sur une carte qui lui a été remise au départ, sa bouteille étant gonflée au Nitrox, en raison de la profondeur à laquelle elle doit évoluer.
Trois sandwiches au Bourget sont la nourriture qu'un narrateur, qui parle à la troisième personne, s'est décidé, à trois reprises, de consommer une fois sur place. Il ne s'embarrasse pas de dire pourquoi il se rend dans cette banlieue du nord-est de Paris, mais il l'a fait visiter au lecteur en notant ce qu'il n'avait pas remarqué les fois précédentes.
Chacun de ces récits se caractérise par des descriptions précises des êtres et des choses. Et il faut dire que Jean Echenoz excelle dans cet exercice. Le lecteur ne s'ennuie pas un instant, d'autant que l'auteur ne manque pas de malice.
Quand il explique pourquoi Gluck entreprend ses voyages autour du monde, il ne dit pas qu'il le fait pour oublier son veuvage:
"On ne saurait [...] se mouvoir qu'avec un but, un axe, un cap, une idée fixe en tête, sinon mieux vaut rester derrière ses fenêtres."
Quant à son narrateur du Bourget, il observe:
"Peut-être était-ce à cause du temps couvert, de la pluie par intermittence, tout cet environnement me donnait donc une impression assez triste, assez pauvre, et comme je passais devant un autre marchand de journaux, y voyant affichée la une du journal Les Echos qui posait la question: "Peut-on encore devenir riche en France?", cette question, ici, m'a paru fondée."
Francis Richard
Caprice de la reine, Jean Echenoz, 128 pages, Les éditions de minuit