Qu'est-ce qu'un bon medecin ?

Publié le 03 mai 2014 par Dominique Le Houézec

Dr HERBET - Larousse 1931

Un bon médecin c’est d’abord quelqu’un qui se considère comme un bon médecin. Avant de lire la suite, demandez-vous vous-même ce qu’est pour vous un bon médecin. En vous souvenant de certaines situations vécues ou de témoignages de vos proches.
Si on vous découvriez une maladie nécessitant une intervention chirurgicale quel est le profil du chirurgien que vous souhaiteriez rencontrer ? Prenez quelques  minutes ou mieux rédigez quelques lignes et adressez les moi comme commentaire (en bas de cet article).

 


Je pense donc qu'un bon médecin, c’est d’abord quelqu’un qui se considère comme un bon médecin. C’est aussi quelqu’un que ses clients (nombreux, cela est un des éléments importants du tableau) considèrent comme un bon médecin. C’est enfin, mais c’est moins important, quelqu’un qui est considéré comme un bon médecin par un nombre significatif de ses confrères.
Le bon médecin est très demandé. Il n’est pas facile d’être reçu par lui ou bien il faut une certaine attente. De deux points de vue: il faut attendre pour avoir un rendez-vous quelques semaines ou plusieurs mois et le jour du rendez-vous, il faut se préparer à attendre dans la salle d’attente car il est débordé, il y a des imprévus, des urgences. Il vous reçoit avec une heure de retard et se plaint d’être  débordé, d’être trop à l’écoute des besoins et même des caprices de ses patients. Mais voilà, il est là, il vous écoute. Il se dit et il vous dit qu’il se dit "c’est comme ça,  je suis trop bon, trop gentil, je me laisse faire, je suis trop disponible".

Parfois ce médecin qui se considère comme bon a été un premier de promotion tout au long de ses études. Parfois il a été formé dans les meilleurs services hospitaliers. Parfois il a rencontré des médecins de très bon niveau qui lui ont  appris plein de choses. Mais parfois, celui qui se considère comme bon a fait des études moyennes voire médiocres, mais il se sent bien, il s’aime, il s’apprécie et il sait, lors de la rencontre avec le malade, faire passer quelque chose de ce contentement de soi.
Il existe des hommes et des femmes qui sont beaux et qui se sentent moyens, voire quelconques. Il existe des hommes et des femmes objectivement moyens et qui s’aiment infiniment et qui multiplient les conquêtes. Et qui trouvent dans chacune de ces conquêtes la preuve qu’ils ont bien raison de s’admirer. 
Se sentir bon médecin, c’est d’abord et surtout un mystère porté par la vie psychoaffective, depuis sa plus tendre enfance, de cet individu devenu médecin.
Quand des gens sérieux réfléchissent à ce qu’est un bon médecin, ils relèvent trois ordres de qualité:- la connaissance technique et la compétence- les qualités relationnelles (écoute, capacité d’empathie, qualités pédagogiques)- qualités morales et éthiques.
Je crois qu’ils ont raison. Mais je crois qu’il faut faire une place, et à mon avis une place majeure, à cette auto-adoration, auto-estimation, auto-vénération d’une part, mais aussi à la capacité de ces auto-adorateurs de susciter de l’adoration.
Si l’on veut comprendre ce qu’est un bon médecin il faut distinguer nettement entre bon médecin et médecin compétent. Non pas que le bon médecin soit toujours incompétent. Mais ces deux notions ne doivent pas être confondues

Un médecin compétent des années 2000 ne prescrit pas de Médiator pour faire maigrir, de même qu’un médecin compétent des années 1960 ne prescrivait pas de Distilbène pour éviter les fausses couches. Le médecin compétent tient compte des connaissances et des données de la science.
De nombreux bons médecins, c’est à dire des médecins qui se considèrent comme bons et qui sont considérés comme bons, ont prescrit du Médiator et du Distilbène.
Le bon médecin a un ennemi ou du moins un obstacle: l’évaluation, les publications et les colloques sérieux. Il a un allié de poids, l’effet placebo et les laboratoires pharmaceutiques. Cette affirmation mérite d’être explicitée.
Lorsqu’on étudie sérieusement les données de la science, lorsqu’on lit les publications, on peut être satisfaits de certains progrès, mais il n’y a pas lieu de sauter de joie à tout instant. Il y a des gens qui ont mal, il y a des gens qui vivent des limites dans leurs aptitudes physiques et ni la médecine ni les médecins ne peuvent prétendre tout résoudre.

Le bon médecin a envie de donner une bonne tape dans le dos au malade en lui disant "Ne vous inquiétez de rien, faites-moi confiance, tout va aller pour le mieux". Le bon médecin a envie de rêver et le malade a envie de rêver avec lui.
Le médecin compétent sait qu’on ne peut rêver que dans certaines limites.
L’effet placebo et les laboratoires pharmaceutiques sont les alliés du "bon médecin".
Un médecin auquel on n’accède qu’avec des difficultés (attente), cela donne le sentiment d’être privilégié, d’avoir beaucoup de chance. Et ce médecin se considère lui-même comme une chance pour vous. Il rêve de vous guérir, il y croit. Tout cela augmente considérablement l’effet placebo.
Les laboratoires pharmaceutiques vendent du rêve. Ils ne parlent pas au médecin compétent, ils ne visent pas la rigueur, la précision, l’évaluation. Ils ont besoin que les gens et les médecins attendent d’être sauvés par leurs molécules. Lorsque les données de la science sont clairement en défaveur de leur produit (Distilbène, Médiator), ils s’évertuent à faire ignorer ces données et ils réussissent souvent à faire prescrire un produit longtemps après que son inefficacité et/ou sa dangerosité aient été prouvées.

Il y a là une grande difficulté: les médecins compétents, bien informés des données de la science ne rêvent pas et ne font pas rêver. Or le rêve positif est facteur de guérison.
Certains bons médecins un peu fous d’eux-mêmes, rêvent et font rêver ce qui peut être, dans une certaine mesure, bon pour la guérison.

Comment choisir, comment s’orienter ? En en parlant, en y réfléchissant, comme  je vous y invite, et en évitant surtout de se faire dicter nos choix par l’industrie pharmaceutique qui rêve de consommateurs innombrables et confits en adoration de leurs bons médecins et de leurs "bonnes" molécules.

Si l’on veut comprendre ce qu’est un bon médecin, il faut distinguer nettement entre bon médecin et médecin compétent. Non pas que le bon médecin soit toujours incompétent. Mais ces deux notions ne doivent pas être confondues.


Jean-Pierre LELLOUCHE