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Entretien réalisé par
Stéphane GuérardVendredi, 2 Mai, 2014Pour Denis Voisin, spécialiste de la fiscalité à la Fondation Nicolas Hulot, les 50 milliards d’économies du pacte de responsabilité « ne laissent aucune place à l’écologie et au souci de réussir la transition écologique ».Après le vote du plan de réduction des dépenses publiques, mardi soir, vous avez annoncé la dégradation de la note écologique de la France « à long terme à AA- ». Pourquoi user du vocabulaire des agences de notation financière?Denis Voisin C’est une manière de montrer que l’économie n’est pas réservée à la finance et à ses agences de notation, et qu’il est important d’évaluer les décisions politiques à l’aune de critères environnementaux, surtout lorsque le plan d’économies de 50 milliards d’euros et le pacte de responsabilité et de solidarité représentent un des grands symboles de la politique économique française du quinquennat. Pour nous, il s’agit là d’une occasion manquée. Les mesures annoncées ne laissent aucune place à l’écologie et au souci de réussir la transition écologique, qui représente un gisement de centaines de milliers d’emplois.Quelles mesures auriez-vous souhaitées à la place ?Denis Voisin Plutôt que de financer ce pacte uniquement par un coup de rabot généralisé sur les dépenses publiques, qui va toucher les ménages les plus modestes, nous proposons de financer le pacte de responsabilité par un basculement vers une fiscalité écologique, bénéfique pour l’emploi et l’environnement, qui peut être plus juste socialement. Pour financer les 50 milliards d’euros d’économies, il y avait un gisement important : les subventions à la pollution, des niches fiscales sous forme de prix réduit de l’énergie, défendues notamment par les agriculteurs ou les transporteurs routiers. Le ministère de l’Économie avait lui-même jugé ces niches inefficaces, en termes de compétitivité et d’emploi, et dommageables pour l’environnement. Les réduire pour financer en partie le pacte aurait permis de leur substituer un allégement du coût du travail et d’améliorer la compétitivité de ces secteurs. Même occasion manquée pour le pacte de solidarité, qui oublie la précarité énergétique et se contente de petits gestes qui ne changent pas les choses à long terme. Toutes ces raisons nous ont poussés à dégrader la note environnementales de la France à long terme. Ces annonces ne prennent pas la mesure des enjeux sur le long terme.Craignez-vous que la réduction de la dépense publique ne rende impossibles toutes les prochaines mesures en faveur de la transition écologique ?Denis Voisin Aucune réforme structurelle n’est envisagée en termes de transition écologique comme de lutte contre la précarité énergétique. Un coup de pouce au revenu de solidarité active (RSA) est toujours le bienvenu pour le pouvoir d’achat des ménages à court terme. Mais à long terme, ce qui compte, c’est de réduire les factures de ces derniers. La solution la plus efficace est de laisser les collectivités territoriales agir. Elles sont les plus à même d’identifier sur leur territoire les ménages en situation de précarité. Elles peuvent les aider via un bouclier énergétique et des aides à la rénovation de leur logement, ou via une prime pour la reconversion de leur automobile. Pour tout cela, il faut des fonds. Un pacte de solidarité écologique se serait concentré sur ces actions-là, qui aident durablement les ménages. Si elle est encore floue, la réforme territoriale fait elle aussi peser un risque sur la transition écologique, qui implique d’augmenter les financements des collectivités locales. Réduire leurs budgets ne va clairement pas dans le bon sens.Ce besoin de financements n’est-il pas contradictoire avec le fait que la FNH n’est pas choquée par la recherche d’économies dans les dépenses publiques? Denis Voisin. Ce qui ne nous choque pas, c’est le fait de baisser les charges sur l’emploi. La fiscalité pèse trop sur l’emploi et pas assez sur les pollutions. On propose depuis longtemps de basculer vers une fiscalité écologique qui reviendrait à baisser les charges sur le travail d’un côté et de la financer en partie par une montée en puissance de la fiscalité écologique. De nombreuses études montrent que financer une baisse des charges sur l’emploi uniquement par la baisse des dépenses publiques est plus pénalisant pour l’économie que si l’on fait intervenir une fiscalité écologique. Or, le gouvernement retient une solution de réduction des dépenses non seulement mauvaise pour l’économie et l’écologie, mais injuste pour les ménages. C’est cela qui nous pousse à alerter aujourd’hui.Certaines mesures, comme la hausse progressive du prix du gazole sur celui de l’essence, ne vont-elles pas à l’encontre de la lutte contre la précarité énergétique que vous prônez ?Denis Voisin. Nous avons effectivement de nombreuses propositions à faire valoir. Pour le prix du gazole, nous préconisons une hausse de deux centimes d’euros par an, soit l’équivalent de trois euros par mois en moyenne. Par comparaison, la hausse de la TVA, l’an dernier, à coûter environ 200 euros par ménage. Mais ce rattrapage n’est pas envisagé pour diminuer les déficits en France. Il s‘agit là de financer une prime de reconversion de l’automobile ciblée vers les ménages moyens et modestes. Nous voulons compléter la politique du bonus-malus qui aide des ménages à acheter des véhicules neufs et écologiques. Mais nombre de ménages n’ont pas les moyens de les acheter, même avec ce bonus-malus. Le rattrape du prix du diesel sur celui de l’essence dégagerait un milliard d’euros par an qui servirait à financer une prime à ces ménages qui n’en ont pas les moyens aujourd’hui. Si les dépenses publiques diminuent, comment financer de nouvelles mesures écologiques ?Denis Voisin. On est plutôt satisfait que la conférence bancaire et financière se tienne bientôt. Des groupes de travail vont voir le jour prochainement pour dégager de nouvelles mesures de financement de la transition écologique. L’enjeu est de savoir à quelle hauteur on sera capable de mobiliser l’épargne réglementée (livret A, livrets Développement durable...), les financements publics (BPI, AFD, CDC...) en vue de cet objectif. Il faudra capitaliser sur les réflexions en cours pour le financement de la rénovation énergétique des logements et bâtiments tertiaires qu’il s’agisse de la création d’un fond national pour l’efficacité énergétique ou d’une société de financement de la transition énergétique pour le tertiaire.- En savoir plus : http://www.humanite.fr/la-france-perd-son-aaa-environnemental-524333#sthash.RpZqBwiB.dpuf