Retour sur mon article au sujet de la peine de mort aux Maldives, désormais
applicable aux enfants à partir de 7 ans.
La décision du gouvernement des Maldives d’autoriser la condamnation
à mort d’enfants à partir de 7 ans m’avait profondément indigné et j’ai donc exprimé cette indignation.
De sympathiques lecteurs que je remercie de leur bienveillante attention ont fait part de deux critiques à propos desquelles je voudrais donner quelques explications. L’une concerne le fait que les Maldives sont un
pays musulman qui base son système judiciaire essentiellement sur la charia ; l’autre sur la sélectivité de l’indignation.
Je reviens volontiers sur certains articles car cela permet soit de clarifier ce qui pouvait être mal
compris, soit au contraire, d’enfoncer quelques clous.
Ici, il s’agit d’un pays qui, généralement, n’est connu que pour ses destinations paradisiaques. Pas
seulement estivales puisque c’est l’été toute l’année (ou presque), la température ne descendant jamais en dessous de 24°C. Bref, si vous avez un peu d’argent (car il en faut), si vous avez un
peu de temps et que vous cherchez à vous détendre, à vous reposer, à n’importe quelle période de l’année, les Maldives peuvent être une destination intéressante.
Oui, mais il faut savoir qu’il y a un véritable fossé entre les touristes (vous en l’occurrence) et les
habitants de ce petit pays qui fait en population à peine plus que la moitié d’un département comme la Meurthe-et-Moselle, les "autochtones" sont en effet interdits de relations car la pression
islamiste y est très forte.
La situation de la peine de mort aux Maldives
Il n’y a plus eu d’exécution capitale aux Maldives depuis 1952, grâce à un moratoire qui avait été encore
confirmé auprès de l’ONU en 2010. Les Maldives avaient ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant le 11 février 1991, la Convention contre la torture et les traitements et les
punitions cruels, inhumains ou dégradants en 2004, et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques le 19 septembre 2006. Ces engagements vont à l’encontre de la décision du 27
avril 2014 de permettre à la justice maldivienne de condamner à mort même des enfants.
Le 18 décembre 2008, les Maldives avaient toutefois voté contre la Résolution des Nations Unies pour un
moratoire mondial sur les exécutions adoptée par cent six États du monde.
La peine capitale n’a donc pas été abolie aux Maldives et est applicable pour différents cas dont (entre
autres) l’homicide prémédité, la tentative d’homicide du Président de la République, la conspiration contre la souveraineté de l’État et les actes de terrorisme.
Quel a été l’élément déclencheur ?
Il semble que la fin du moratoire sur les exécutions capitales a été la conséquence du meurtre d’un député
maldivien, Afrasheem Ali, poignardé dans l’escalier de son immeuble le 1er octobre 2013.
En effet, le 17 janvier 2014, la Cour criminelle des Maldives, présidée par Abdulla Didi, a condamné à mort
le suspect numéro un de ce meurtre, Hussain Human, qui a nié sa culpabilité après l’avoir avouée sous pression policière, en échange de la clémence. Il avait alors reconnu dans l’audience
précédente qu’il avait été l’auteur de l’attentat avec "Shan", le suspect mineur dans l’affaire, que le commanditaire était le gendre d’un membre de l’opposition et que celui qui a organisé était
un soldat (qui a été arrêté puis libéré).
Le Ministre maldivien de l’Intérieur, Umar Naseer, a alors ordonné le 23 janvier 2014 aux prisons du pays de
prendre « toutes les dispositions requises » pour l’exécution de tous les condamnés à mort par injection létale. Il y a actuellement
dix-neuf personnes détenues et condamnées à mort aux Maldives. L’ordre du ministre cautionne également l’exécution de personnes condamnées à mort pour des infractions commises alors qu’elles
étaient encore mineures. La décision du gouvernement du 27 avril 2014 vient en quelques sortes formaliser cette consigne.
Indignation sélective ?
Il y a malheureusement beaucoup de causes d’indignation dans ce qu’il se passe dans le monde et la sélection
est évidemment nécessaire. Il n’est pas possible de se focaliser sur toutes les détresses, parce que c’est simplement impossible humainement.
Alors, il y a des sélections par le hasard des lectures et des annonces, il y a aussi des faits qui indignent
et qui sont plus ou moins médiatisés. Est-il nécessaire de rejoindre les concerts d’indignation quand les faits reçoivent déjà un large écho ? Pas nécessairement parce qu’il n’y aurait pas
beaucoup de valeur ajoutée, même si cela a pu m’arriver de le faire.
C’était là l’intérêt de parler des Maldives, un pays finalement mal connu et qui suscite peu d’informations,
du moins en France.
C’est vrai que les exécutions en Chine et en Iran sont bien plus massives, bien plus cruelles dans les faits, pas seulement dans les perspectives. La cruauté n’a
pas de frontière, n’a pas de nationalité, n’a pas religion. Elle est sans doute inhérente à l’humanité elle-même, bien que je ne me reconnaisse pas dans celle-ci.
J’aurais pu aussi évoquer les condamnations à mort collectives en Égypte, là contre des supposés amis d’islamistes (on inverse les clivage). Je
l'ai fait d'ailleurs pour la première vague. Deux vagues de plusieurs centaines de condamnations à mort ont eu lieu de manière scandaleuse, au cours de procès bâclés et sans la possibilité
matérielle d’étudier le cas de chaque prévenu individuellement sur sa responsabilité éventuelle d’un fait qui serait supposé mériter la peine de mort. Certaines fois, des patronymes ont été
simplement confondus.
L’argument de l’indignation sélective est donc sans intérêt : en quoi la cruauté des uns disculperait la
cruauté des autres ? Au contraire, parlons-en, parlez-en !
Si cette sélection est donc matériellement nécessaire, elle n’est pas partiale. La preuve est que j’avais
écrit également sur l’exécution de Troy Davis aux États-Unis dont l’innocence était quasiment certaine ou
alors sur la première exécution de l’ère Obama.
C’est d’ailleurs souvent l’exemple américain qui est mis en face presque pour justifier l’horreur judiciaire
maldivienne. Comme pour mieux perpétuer un clivage entre Américains et musulmans qui n’a pas lieu d’être même si la "croisade" de George W. Bush n’a pas aidé à calmer les passions.
Certains lecteurs sont même prêts à tout mélanger en faisant référence à Alstom et à son possible rachat par
General Electric en mélangeant la responsabilité des dirigeants d’une entreprise privée (aux États-Unis, l’État n’a aucun pouvoir sur les entreprises privées, c’est le principe même du
libéralisme, rarement appliqué en France), et la responsabilité du gouverneur et des juges des États américains où la peine de mort est possible. Ces lecteurs les englobent dans un fourre-tout
généralisant, dit "les Américains", sans plus de signification que de dire que les frasques sexuelles d’un Dominique Strauss-Kahn ou les évasions fiscales d’un Jérôme Cahuzac (pour ne pas
en citer d’autres) seraient rapportées à la responsabilité collective "des Français".
Islamophobie ?
Donc, laissons de côté les généralisation hâtives et ne gardons que les responsabilités individuelles. Ici,
pour la peine de mort aux Maldives, la responsabilité est bien celle des dirigeants de cet État et pas celle des "musulmans" en général.
Je dénonce un État et pas une religion. Je fais la différence entre une religion et son interprétation
contestable.
Évidemment, cet État est un État islamique dans le sens où l’islam en est la religion d’État. Ce qui a abouti
à des jugements scandaleux dans l’application de la charia, comme, déjà citée, cette jeune adolescente violée par son beau-père (pas même cité dans le jugement) et qui a été condamnée à recevoir
cent coups de fouet pour avoir eu des relations sexuelles hors mariage.
Mais tous les pays à majorité musulmane n’agissent pas forcément comme aux Maldives. Ou comme en Iran. Il y a
donc d’autres éléments que l’islam en lui-même pour comprendre la cruauté d’un État envers sa population, et le principal est sans doute d’empêcher toute expression d’ une opposition naissante,
même dans un régime qui s’est pourtant démocratisé en 2008.
Il n’y a donc aucun amalgame à faire entre ce qu’il se passe précisément aux Maldives et l’islam en général.
J’avais d’ailleurs protesté contre une décision de justice prise le 27 juin 2008 que j’avais assimilée à de l’islamophobie d’État (je sais, ce n’est pas bien de protester contre un verdict, mais les juges peuvent se tromper, peuvent se
contredire, et je jouis, pour l’instant, de ma liberté d’opinion et d’expression et rien ne m’empêche donc de l’utiliser). Je sais aussi que cette protestation n’a plus lieu d’être depuis la
promulgation, le 11 octobre 2010, de la loi interdisant la burqa (que j’ai approuvée par ailleurs, avec
quelques réserves).
Pas d’amalgame avec la religion, l’islam est interprété dans un sens qui ne paraît pas forcément en accord
avec ce qu’il professe. Mais combien de musulmans dénoncent la décision des Maldives ?
La question pourrait être retournée : est-ce que pour éviter tout procès en islamophobie, je suis obligé
de me taire quand des faits dans des pays islamiques m’indignent ?
Évidemment non. Chacun trace sa route. Selon ses principes, ses valeurs qui le guident, chacun doit
s’indigner ou interpeller indépendamment de critères secondaires. Sinon, ce ne seraient plus des principes, ce ne seraient plus des valeurs, mais seulement de la manipulation, des jeux
d’alliance, d’opposition.
Que cela vienne d’un État musulman ou pas, toute atteinte à des principes fondamentaux des droits de l’homme
est à dénoncer. Partout où c’est le cas.
Il ne s’agit pas seulement de dénoncer. Il s’agit aussi de ne pas se rendre complice, par le silence poli,
par l’indifférence, et surtout, par le tourisme béat.
Dénoncer le gouvernement maldivien fait-il le jeu des extrêmes ?
J’aurais tendance à raisonner comme pour l’islamophobie. Faut-il s’empêcher de s’exprimer pour éviter que des
groupes (que j’aurais tendance à repousser) puissent en tirer profit ? Évidemment, encore non !
D’ailleurs, cela m’étonnerait que cette dénonciation soit dans le même sens que les extrêmes. L’extrême
droite, généralement (pas toujours), et surtout, historiquement, a souvent prôné la peine de mort, le durcissement avant son abolition de 1981, et son rétablissement après 1981.
Le tout sécuritaire s’accommode assez bien de la peine de mort même si toutes les études démontrent que la
peine de mort n’a aucune fonction dissuasive (la preuve, la grande criminalité aux États-Unis).
Valeurs
La question serait de savoir si la question de la peine de mort doit s’insérer dans des clivages partisans ou
religieux. La réponse est non.
Refuser la peine de mort, est-ce une valeur de gauche ? Évidemment non. La preuve, Jacques Chirac et Philippe Séguin
ont voté en 1981 pour l’abolition de la peine de mort, et ils étaient dans l’opposition et comptaient bien
reconquérir le pouvoir.
Refuser la peine de mort, est-ce islamophobe ? Évidemment non. Je l’ai déjà évoqué et j’aurais même
tendance à penser que la peine de mort va à l’encontre des trois religions monothéistes. Les papes successifs, notamment, Jean-Paul II, Benoît XVI et François,
ont toujours eu cette démarche d’interpeller les États qui pratiquaient la peine de mort. Il ne me semble pas non plus que l’islam soit structurellement favorable à la peine de mort, si ce n’est
dans des interprétations qui prêtent à discussion et qui permettent de justifier l’injustifiable. Là encore, il suffit de voir la grande disparité des systèmes judiciaires des États à majorité
musulmane.
En ce qui me concerne, j’ai des valeurs, certaines plus "fermes" que d’autres. Par exemple, j’étais plutôt
défavorable au mariage gay et opposé à la méthode employée, qui visait à dénigrer inutilement une grande partie de la société, mais je ne
considère pas ce sujet comme crucial, qu’importe finalement. En revanche, la peine de mort ou l’euthanasie me paraissent des sujets bien plus essentiels, qui caractérisent vraiment une civilisation, parce que cela touche aux valeurs les plus
fondamentales, cela touche à la vie que je considère comme sacrée et à protéger absolument.
Le but de mon article était donc double
D’abord informer car je ne suis pas sûr que cette information ait été beaucoup diffusée. Elle l’a
certainement été dans certains médias, je ne lis pas tout, je n’écoute pas tout.
Ensuite, dénoncer un état de fait. La peine de mort se combat partout, et à plus forte raison quand elle peut
s’appliquer aux enfants. Je suis contre l’antiaméricanisme qui me paraît non seulement dépassé mais particulièrement ingrat par rapport à notre histoire récente, mais cela ne m’empêche pas, comme
dans ce cas-là, de dénoncer ceux des États américains qui, comme d’autres pays, continuent cette pratique barbare. Je reste sur le plan des principes.
Le boycott ?
S’il fallait boycotter tous les "méchants" pays (à la définition incertaine), alors on ne pourrait plus
sortir de chez soi (ou encore, il faudrait aller sur Mars). Peut-être !
La pauvreté, pas seulement la répression, peut aussi poser problème. N’est-ce pas indécent de se prélasser
dans l’opulence devant tant de pauvreté ? Mais, là, le tourisme contribue justement à l’enrichissement des populations.
Il faut déjà différencier le type de séjour dans un pays étranger, entre le séjour professionnel et les
vacances, et même, le type de vacances, entre le repos assez passif et la découverte culturelle, humaine, sociale. Il est très pertinent de chercher à rencontrer les populations locales même dans
les pays à forte répression.
Il faut différencier les peuples de leurs dirigeants. Cela s’appliquait aussi aux États-Unis à l’époque de
George W. Bush ; vu sa base électorale de 2000, la moitié des Américains avait voté contre lui. Ne pas amalgamer.
Le rush touristique très récent vers la Birmanie, grâce à l’ouverture des frontières aux étrangers, est
d’ailleurs assez intéressant : le tourisme contribue non seulement à l’enrichissement économique mais aussi à une certaine forme d’ouverture irréversible.
À chacun sa conscience
Aux Maldives, il y a peu de place aux découvertes culturelles ou sociales. Les habitants sont interdits de
contact et les hôtels sont dans des îles dédiées, sans passé historique, aménagées artificiellement pour le tourisme de masse. Ce n’est d’ailleurs pas en soi monstrueux de se prélasser sur une
plage, c’est même très agréable.
Même si le niveau d’indifférence peut toujours en surprendre plus d’un, le boycott économique, et ici
touristique, est le meilleur levier pour faire pression.
Peut-on raisonnablement encore faire de la bronzette en maillot de bain sur des plages parmi les plus belles
de l’Océan Indien en sachant cette nouvelle disposition des sanctions pénales ? À chacun sa conscience…
Aussi sur le
blog.
Sylvain
Rakotoarison (2 mai 2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Maldives : la peine de mort pour les enfants de 7 ans.
Pour ou contre la
peine de mort ?
La peine de mort selon François Mitterrand.
La peine de mort
selon Barack Obama.
La
peine de mort selon Kim III.
La peine de mort selon Ali le Chimique.
Troy
Davis.
Les 1234 exécutés aux États-Unis entre 1976 et 2010.
http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/faut-il-parler-de-la-peine-de-mort-151449