Après la superbe journée de la veille à Haut-Bailly et à Yquem, il était difficile de croire que nous pourrions faire mieux. Et pourtant, ce jour 5 fut peut-être encore plus mémorable que le précédent. Mais n'allons pas trop vite...
Avant d'attaquer la première visite, j'ai pris beaucoup de plaisir à me balader dans le superbe village de Saint-Émilion, à la fraîche, sans touriste ni vendeur qui vient te faire de la retape.
Bienvenue à Angelus nouvelle version. L'ancienne était en effet plus sobre.
J'avais pris cette photo en juillet 2006 (article à lire ICI). C'est sûr que ça prêtait moins au rêve, donnait moins dans le prestige, mais se fondait assurément mieux dans le décor, avec cette toiture typique de la région.
Là, on a l'impression d'être à Disneyland ou devant l'un de ces néo-châteaux construit par un milliardaire chinois. Vous me direz que c'est pas un hasard : il a été manifestement rénové pour plaire à une clientèle asiatique.
Notre guide du jour, Laurent Benoit, nous fait le topo sur le domaine, de l'arrivée des de Boüard à la fin du XVIIIème siècle jusqu'en 2012 où il est devenu 1er Grand Cru Classé "A". Et évoque la rénovation du château et la décision de construire un carillon. La cloche étant depuis un siècle le symbole du domaine, il était logique qu'il y en ait au moins une. Et puis pourquoi pas plusieurs, qui sonneraient les hymnes nationaux des visiteurs ? Au départ, c'était plutôt une plaisanterie. Mais ils l'ont vraiment fait...
Et nous avons donc eu droit à l'hymne belge
Nous sommes ici dans la nef, destinée aux réceptions, mais pas que. Située à côte des chais, elle a aussi des fonctions techniques (embouteillage étiquetage...) Sa toiture est en forme de "coque de bateau inversée" que l'on trouve souvent dans les églises en bord de mer où c'était souvent les même architectes qui concevaient les bâteaux et les bâtiments.
La galerie de la famille de Boüard
Le cuvier est très éclectique : bois, inox, béton... qui ont chacun leur utilité en fonction des cépages et des millésimes. La nouveauté, ce sont les cuves tronconiques inversées mises au point par Hubert de Boüard et le fabricant Lejeune, qui permettent d'extraire en douceur lors des délestages (on vide la cuve de son moût pour quelques heures avant de le reverser sur le marc).
Tant qu'à rénover, autant refaire aussi le chai à barriques. S'il occupe la même place que l'ancien, celui-ci est plus moderne, avec une climatisation plus performante et moins gourmande, mais aussi une meilleure hygrométrie.
Le patio existait déjà, mais a eu le droit aussi à un coup de neuf...
La nouvelle salle de dégustation
Les deux vins présentés (Didier en arrière-plan)
Bellevue 2007 est un bien joli vin, fin et tendu, avec des tannins soyeux, de la fraîcheur et de la digestibilité. On sent la patte Thienpont/Suire ;-)
Angélus 2007 : allez, je suis déçu en bien. Il est bien beau, cet Angélus, avec une matière plus charnue et sensuelle que le vin précédent sans tomber jamais dans le too much. Il y a vraiment un bel équlibre, avec un boisé discret et des arômes d'évolution qui pointent leur nez. J'avoue : j'aime !
Nous montons juste en haut du plateau pour arriver à Beau-Séjour Bécot. Le vignoble repose sur uniquement sur 30 cm de terre. En dessous, il y a plus de 10 mètres de calcaires à astéries, percé de nombreuses galeries souterraines. Je trouvais intéressant que l'on visite deux types de galeries dans la même journée : les traditionnelles où ne sont stockées que les bouteilles – comme ici – et les modernes qui servent de chai à barriques (comme le voisin Beauséjour hDL).
On retrouve des tronconiques inversées. Cela donne des tannins plus doux, nous explique-t-on.
Le chai d'élevage est assez classique, si ce n'est les quelques grosses barriques du fond, destinées à la vinification intégrale (mais ça représente tout de même un faible pourcentage de l'ensemble.
La carrière aux allurs de chapelle
Trésors...
En attente d'être étiquetées...
Bon, on commence à se déshydrater, là...
Nous commençons par le Castillon de Juliette Bécot, Joanin Bécot 2011 : c'est bien mûr, velouté, charnu, gourmand, avec un boisé plutôt discret. C'est déjà bon aujourd'hui et tiendra sans problème une dizaine d'années. Puis nous poursuivons avec le troisième 2007 de la journée (et c'est pas le dernier) : Beau-Séjour Bécot 2007. Plus fin que l'Angélus, plus dense que Bellevue, il est très élégant, avec une matière douce aux tannins fondus. Un début d'évolution lui donne beaucoup de charme : on se régale :-)
Puis nous passons aux choses sérieuses, avec Beau-Séjour 1990, acquis sur place par Ludovic (merci à lui !). Si la robe ne fait pas son âge, son nez dominé par les notes tertiaires (cuir, tabac, humus) le trahit. La bouche, quant à elle, déborde de jeunesse : vive, élancée, très aérienne, elle offre une matière d'une soie délicate que l'on aurait presque peur de déchirer. La finale est longue, expressive, pleine de fraîcheur. Dommage que l'aromatique ne soit pas tout à fait à la hauteur, car on serait face à un grand vin. Il est juste ici très très bon.
Le même, sur la terrasse.
La même terrasse, avec deux Belges qui se remettent de leurs émotions
Nous avons un peu traîné à Beau-Séjour. Du coup, nous sommes un peu à la bourre au restaurant où nous mangeons au lance-pierre. Nous n'arrivons qu'avec un quart d'heure de retard à notre rendez-vous suivant. Mais où est-on ? Indices : mon nom indique que je suis situé sur une ancienne léproserie. Mon vignoble se situe juste en dessous d'Ausone et de Bel Air, et pile en face de Pavie.
Je viens de rénover mon cuvier de fond en comble...
Mon chai souterrain en béton fut le premier de la rive droite...
Je suis... château la Gaffelière !
Et voici notre quatrième 2007 de la journée. Et il s'avère le meilleur de tous : beaucoup de finesse et d'élégance, une belle matière au toucher soyeux, une aromatique complexe. Vraiment très bon.
Commence alors un voyage au coeur de la galaxie Thienpont qui va nous emmener jusqu'à tard dans la nuit. Nous avons d'abord rendez-vous au domaine historique de la famille, acheté il y a presque un siècle, Vieux Château Certan à Pomerol. C'est actuellement Alexandre Thienpont qui le dirige (il fut directeur technique de la Gaffelière dans les années 80), secondé par son fils Guillaume qui nous sert de guide aujourd'hui.
Le vignoble de 14 ha d'un seul tenant est entouré de voisins prestigieux : Petrus, Lafleur, la Conseillante, L'Evangile, Petit Village. Les sols sont d'une part argileux (la fameuse "boutonnière" d'argile bleue de Petrus), d'autre part sablo-graveleux. Sur les premiers poussent principalement du Merlot (60 %) tandis que le Cabernet Franc (30 %) et le Cabernet Sauvignon (10 %) trouve leur bonheur dans les sols plus chauds.
Les vinifications se font en cuves en bois à température relativement élevée (30-32 °) uniquement av
ec les levures indigènes, puis l'élevage se poursuit en barriques de 18 à 22 mois selon les millésimes.
Nous démarrons avec le 2013, qui est absolument superbe : un fruit d'une rare intensité, une grande tension, des tannins raffinés, un équilibre parfait sensuel et gourmand. Premier coup de coeur !
Puis nous passons au 2004 : waoh, rien que le nez sur la truffe et les fruits noirs est une tuerie. Et en bouche, c'est du taffetas frais et touffu, d'une rare élégance. J'adore ! Deuxième coup de coeur !
Puis Guillaume nous ouvre un 2002 : exit la truffe, bonjour la violette ! La bouche est encore plus délicate, c'est une caresse soyeuse sur le palais d'un raffinement extrême, digne d'un Musigny bourguignon. Je super adore ! Troisième coup de coeur !
Il nous achève avec un 2010 : le nez est magnifique de complexité. Et en bouche, il a l'élégance des vins précédents avec beaucoup plus de densité et de sève. Une méga-tuerie. J'adore ultra +. Quatrième coup de coeur. Guillaume m'a tuer...
Nous allons alors sur l'un des domaines dirigés par Nicolas Thienpont, Beauséjour-héritiers Duffau-Lagarosse, où nous attend David Suire, son directeur technique. L'idée n'est pas de nous faire une visite approfondie, mais plutôt de nous montrer la situation géographique du vignoble, histoire de pouvoir le comparer aux autres domaines que nous verrons ensuite. Signalons au passage que vous avez sur cette photo le vignoble de Berliquet, également géré par Nicolas et son fils, Cyrille (à gauche la butte avec les cyprès très toscans).
Et voici les carrières réaménagées en chai à barriques. Cela permet une maturation plus lente que dans chai classique, avec moins de "consume" (pas besoin d'ouiller).
Bref passage à Larcis-Ducasse, histoire là-aussi de voir à quoi cela ressemble.
En enfin, arrivée à Pavie-Macquin (avec à droite l'un des fameux chênes)
Le chai d'origine, considérablement agrandi ensuite.
Les cuves ciment, ayant toutes un prénom féminin
Pour démarrer la soirée, une série de 2011 "made by Thienpont"
Puyguéraud (Côtes de Francs, domaine historique de la famille) : joli nez sur les fruits noirs et la fraie, avec une touche mentholée. Bouche longue, tendue, avec une belle matière veloutée. Finale tonique, limite mordante, sur des notes de cassis.
La Prade (Côtes de Francs) : nez plus mûr, presque confit. Bouche plus élégante, bien fraîche, avec une matière dense et douce. Finale sur une mâche savoureuse. Miam !
Alcée (Côtes de Castillon à la frontière de Francs, sols totalement différents, toute petite production) : nez plus discret, mais plus fine et profond. Bouche longue, élancée, avec une très belle matière, soyeuse et onctueuse. Finale très savoureuse. Grande découverte... mais tout est parti en Angleterre sur ce millésime.
Trimoulet (Saint-Emilion, repris par Thienpont dans ce millésime): nez fin, mûr, aérien. Bouche ronde, harmonieuse, avec une belle énergie. Belle mâche finale.
Berliquet (Saint-Emilion GCC) : nez très subtil, dominé par les notes florales. Bouche pure, éclatante, avec des tannins soyeux et un fruit très expressif. Mâche finale super gourmande. J'ai bôôôcoup !
Larcis-Ducasse (Saint-Emilion GCC, 1er GCC depuis 2012) : nez intense, radieux, sur les fruits noirs fraîchement cueillis. Bouche élancée avec une matière douce et sensuelle, tout en restant droite et fraîche. Longue finale persistante. Que du bonheur !
Pavie-Macquin (Saint-Emilion 1er GCC) : nez plus riche sur la crème de fruits noirs, le cèdre, les épices. Bouche ample, riche, suave, avec une matière d'un velours très dense. Finale riche et expressive, très intense. Pffiou, ça déménage. Plus impressionné qu'amoureux.
Beauséjour-hDL (Saint-Emilion 1er GCC) : nez très mûr, solaire. Bouche ample, pure, d'une grande droiture, mais qui se resserre à partir du milieu de bouche et devient trop dure à mon goût. Clairement dans une phase de fermeture. A revoir.
La table de la soirée
Le menu personnalisé
Blandine Giambasi (responsable communication) et Nicolas Thienpont
David Suire
Guillaume et Cyrille Thienpont
Toasts de pain de seigle aux fèves : simple, mais une tuerie !
Tomates cerises au wasabi et .... au parmesan
Cromesquis de foie gras
Avec les différentes mises en bouche, nous avons bu quatre millésimes du blanc de Charmes Godard, une autre propriété des Thienpont.
2011 : nez marqué par le Sauvignon, sur les agrumes et le fruit de la passion. Bouche pure, fraîche, bien équilibrée. Finale presque tannique, persistant sur l'écorce de pomelo.
2012 : nez plus confit. Bouche plus ample, avec une matière plus riche. Finale moins dure, savoureuse, avec une belle amertume.
2010 : nez fin, frais, mentholé et bourgeon de cassis. Bouche pure, intense, tonique, avec une matière généreuse. Très beau.
2013 : nez très floral, mais aussi sur l'agrume confit, les fruits exotiques. Bouche à la fois ample et tendue, avec une matière ciselée, précise. Finale très intense. Superbe.
Le soleil se couche sur Saint-Emilion
Kisméou ?
Ludovic cerné par la famille Thienpont (je suis juste en face)
Velouté de petits pois, mousse de chèvre et pata negra
dégusté avec le dernier vin blanc
Lotte rôtie, carbonara de courgettes
avec
Berliquet 2008 : nez à tomber, fin, floral, complexe, évoquant un parfum de luxe. Bouche douce, élancée, soyeuse, avec une finale savoureuse. Si l'accord avec le poisson semblait improbable, cela fonctionne remarquablement bien.
Larcis-Ducasse 2006 : nez étonnant sur les fruits confits et le caramel au beurre, les épices. Bouche plus dense, fraîche, avec une matière fruitée et veloutée. Belle mâche finale.
Ris de veau, carottes nouvelles
avec
Larcis Ducasse 2004 : nez fin et complexe, sur les fruits noirs, les épices et une touche de fumée. Bouche tendue, fraîche, avec une matière douce, savoureuse, très gourmande. Grande persistance. J'avais adoré ce vin en 2005. Je l'aime toujours autant.
Pavie-Macquin 2000 : nez évolué, sur les fruits noirs compotés et la truffe. Bouche ample, très mûre, avec une matière veloutée s'affermissant en finale.
Boeuf grillé, Noirmoutier comme un risotto
avec
Pavie-Macquin 1998 : nez sur le cassis, la truffe et la fumée. Bouche d'une grande densite, avec de la fraîcheur et de la tonicité. Finale très savoureuse, jouissive. L'accord avec le risotto de pomme de terre aux truffes est carrément divin ! Ce plat simple est l'un des plus marquants de mon existence.
Beauséjour-hDL 2011 : nez sur les fruits noirs très mûrs et la fumée. Bouche ample et mûre, avec une matière dense et veloutée. Se goûte beaucoup mieux que l'autre bouteille. Est-ce vraiment une phase de fermeture ou un problème de bouchon ?
Tomme de brebis et gelée à la cerise
avec
Vieux Château Certan 2006 (magnum) : nez fin, légèrement truffé et épicé. Bouche ample, douce, soyeuse, avec de la tension et de la fraîcheur. Longue finale, sans dureté. 2006 me semble plus un peu plus solaire que 2002 et 2004 bus dans l'après-midi.
Juste avant le dessert, bus pour eux-mêmes :
Beauséjour-hDL 1988 : nez superbe, très complexe, toujours sur les fruits rouges et noirs, des arômes tertiaires et une touche mentholée. Bouche droite, fraîche, élégante, d'une grande jeunesse. Finale longue et tonique sur le tabac et les épices. Grand vin.
Larcis-Ducasse 1959 : nez rien moins que sublime, fin et d'une complexité folle, dominé par les notes empyreumatiques (moka, entre autres). Bouche intense, séveuse, à la matière soyeuse, caressante. Finale interminable. Juste énorme.
Cheesecake au cassis, framboises et gariguettes
La tablée
Nicolas a encore soif. On ouvre deux dernières bouteilles...
George 2003 (100 % Malbec de Puyguéraud) : nez bien mûr. Bouche douce, riche, intense, épicée, aux tannins denses mais bien fondus. Finale un peu chaude.
Pavie-Macquin 2009 (non photographiée): nez super concentré, riche. Bouche charnue, intense, d'une grande puissance, avec une looongue finale.
Nicolas et le chef Jean-Baptiste Depons, longuement applaudi.
Merci à la Thienpont team pour cette soirée exceptionnelle !