Des études nous apprennent qu’aujourd’hui, le chat est devenu le compagnon domestique préféré des Français ; des statistiques affirment que, sur les réseaux de partage de vidéos, celles consacrées aux matous et à leurs petits remportent le succès le plus large. L’humain contemporain nourrit pour cet animal une passion que je me garderai de contredire - les deux chats chez lesquels j’habite (car telle est la réalité que toute personne concernée observe) pourraient en témoigner.
Pourtant, la relation de l’homme et de ce petit félin fut toujours complexe ; c’est ce qu’exprime, avec une belle érudition littéraire, la romancière Stéphanie Hochet dans son premier essai intitulé Eloge du chat (Editions Léo Scheer, 104 pages, 15 €). Le titre n’a pas été choisi au hasard ; depuis l’antiquité, en littérature, le genre de l’éloge n’a d’égal rhétorique que celui du pamphlet ; il est l’exercice de style par excellence.
L’auteure a ici résolu de traiter son sujet à partir de caractères anthropomorphiques familiers aux humains : le libertaire, l’autocrate, la femme, le replet, le dieu. De ce portrait, il résulte que le chat se présente comme la plus transgressive, la plus paradoxale, voire la plus oxymorique des créatures : animal et divin, domestique à ses heures, mais sauvage par essence, affectueux de corps, mais indépendant d’esprit et surtout - parce qu’il est redoutablement intelligent et qu’il a compris que, contrairement à son cousin le tigre, la force n’est pas de son côté - d’une flexibilité, d’une adaptabilité à toute épreuve.
L’argument se trouve solidement étayé par un corpus littéraire pertinent et varié, qui n’exclut pas l’humour et s’étend de Maupassant à Natsume Sôseki, de Colette à Pascal Quignard, de Rabelais à T. S. Eliot, de Léautaud (préfacier du délicieux Chat Miton de Marie Dormoy) à Rainer Marie Rilke, sans oublier, naturellement, le grand Baudelaire. On pardonnera l’absence de Théophile Gautier et de Mallarmé. Tour à tour adulé des Egyptiens et persécuté par l’imbécilité triomphante de l’Inquisition, pris pour symbole du magistrat corrompu (le Grippeminaud de Pantagruel) ou du prélat hypocrite et madré (le Raminagrobis de La Fontaine), le chat incarne avec autant de bonheur la séduction féminine ou la bonhommie ; voilà pourquoi il occupe notre cœur comme notre imaginaire.
Pour autant, bien malin serait celui qui se vanterait de comprendre parfaitement la nature du chat. C’est ce que suggère Stéphanie Hochet lorsqu’elle interroge le lecteur : « Et si cet animal était avant tout un point d’interrogation se promenant sur des coussinets ? »
Illustration : Mes chats Kenzo et Ulysse.