Traverser le petit village de Maisonneuve, juste après le pont du Chassezac, était à chaque fois un immense plaisir. Non pas que ce village soit particulièrement excitant, non, c’était un banal village ardéchois, ni particulièrement beau, ni particulièrement laid.
Seulement, dans ce village, sur la route principale qui le traverse, j’étais chaque fois comme obligé d’arrêter ma moto et à chaque fois j’en prenais plein les yeux. Là, devant une maison sans grand caractère, trônait un ensemble de « sculptures » bricolées en ciment et bouts de ferraille, sculptures sans âge à mi-chemin entre les fabuleuses sculptures de l’île de Pâques et d’incertains objets que des enfants libres auraient concoctés pour emmerder les adultes.
Rien à voir avec Michel-Ange ou les grands classiques de nos livres d’histoire. Non, ces objets proches de ce que Jean Dubuffet avait baptisé « art brut », étaient chargé d’une singulière magie et d’une bonne dose d’humour en suprême cadeau.
Décidément, l’olibrius qui avait maçonné ces oeuvres était un sacré lascar. Et puis, un panneau en ciment sur lequel était gravé en lettres incertaines la profession de foi de « l’artiste » trônait sur le portail, lui aussi bricolé de main de maître. Tout ça ne pouvait que m’enchanter au plus haut point jusqu’à l’année dernière où, passant par ce village, me rendant à la pêche sur le Chassezac, j’ai failli me foutre la gueule par terre.
Toutes ces merveilleuses oeuvres avaient disparu, remplacées par un portail d’une banalité et d’une laideur affligeante. Putain, j’ai failli en pleurer de rage. Une fois de plus on me bousillait ce qui faisait le charme de ces vieux villages ardéchois, remplaçant leur immense beauté par des merdes architecturales d’une pauvreté inouïe. Je me souviens d’un film d’Éric Rohmer ou Fabrice Lucchini disait : « Il faut supprimer la peine de mort SAUF pour les architectes ! » Je ne peux que m’associer à cette déclaration d’intérêt public.
Et puis, la semaine dernière, la chance aidant, je suis tombé sur un petit opuscule bien timide retraçant la vie de cet homme peu commun qui avait bâti toute cette tribu d’objets hors les normes.( GURLHIE, Editions du Chassel )
Il portait le nom d’Alphonse GURLHIE , était née en 1862 dans le hameau de Maisonneuve en Ardèche méridionale et très tôt, se lia d’amitié avec tous les animaux sauvages autour du village et gambade avec eux de rocher en rocher dans le bois de Paîolive et tombe vite amoureux de cette incroyable nature de l’époque. Il apprend tout cela, pêche à la main, braconne comme personne et apprivoise de jour comme de nuit les nombreux fourrés de ses forêts.
Lorsque quelque malheureux se perd dans ces bois, qui appelle t’on au secours ? L’Alphonse, bien entendu !
Bref il devient vite un homme des bois et rapidement est fasciné par ces incroyables rochers qui symbolisent le combat de l’ours du lion ou bien qui montrent d’autres animaux dont la girafe et l’éléphant « affectueusement statufié « par la nature folle du bois de Paîolive.
De retour du service militaire, il devient rapidement connu dans la région par tout les gens qui veulent manger une bonne friture bien fraîche et qui font appel à lui. (Et bien connu aussi par la maréchaussée qu’il évite avec succès.)
La vie douce et passionnante se passe ainsi dans les bois jusqu’au moment où il décide de devenir sculpteur. Et c’est là que ça devient admirable.
Peut-être avait-il entendu parler du « Palais idéal » que le FACTEUR CHEVAL, dans le village de Hauterive dans la Drôme voisine avait bâti pendant plus de 30 années.
Tout toujours est-il que le GURLHIE se met à raconter sa vie d’homme des bois à l’aide de ciment et de ferraille. Il s’amuse comme un enfant, comme un homme hors du commun, radical, anticlérical et anticonformiste et illuminé comme le bon facteur Cheval, construit également sa tombe qui porte l’inscription suivante : « Sépulture de l’époque néolithique, Alfonse GURLHIE né le 1er février 1862 « . Il y est enterré le 8 octobre 1944.
Heureusement pour nous, toutes ces magnifiques sculptures ont été regroupées dans une sorte de petit musée en plein air dans le village ardéchois voisin de Chandolas et croyez-moi, elles sont encore bien vivantes et gigotent comme par le passé.
Sûr que le GURLHIE, bien installé au paradis, passe son temps à fabriquer des pièges afin de capturer les anges et les plumer pour remplir des édredons car il ne fait pas chaud certaines nuits là-haut.
Il doit bien les vendre, ses couettes angéliques et se faire un paquet d’oseille. Le bon Dieu, paraît-il, en crève de jalousie…