Tranches de vie ordinaires en République Démocratique (et Populaire) Française, imaginées mais pas dénuées de réalité – Épisode 13 : « La maison 3D de François »
Par h16 et Baptiste Créteur.
La France sera un pays de propriétaires ou ne sera pas. C’est comme ça. Et pour que tout se passe bien, il faudra obligatoirement remplir quelques menues conditions et deux ou trois douzaines de petits formulaires pas piqués des hannetons. On est en France, après tout. Et ce qui est vrai pour tous l’est aussi, bien sûr, pour François.
François, c’est un type un peu bonhomme, placide et posé, et qui aujourd’hui a décidé de poser un geste fort, de sortir de sa routine et d’être un pionnier : il sera le premier Français à se faire imprimer une maison. Fouyaya.
Rassurez-vous. Non, François n’est pas fou et ne s’appelait pas dans une ancienne vie Cadet Rousselle. Il a bien évidemment — et comme son caractère le lui impose — mûrement réfléchi sa décision et surtout, il est adepte de nouvelles technologies, notamment quand cela se traduit par un prix réduit. Et la maison imprimée a tout pour lui plaire : écologique et économique, son matériau de base est en béton et fibre de verre recyclés pour un coût de 4300 €.
Et gros bonus : la maison sera fabriquée en 24 heures seulement. Enfin, 24 heures à partir du moment où les buses de l’imprimante 3D se mettent en marche.
Parce qu’avant de faire ronronner les robots, sa future maison imprimée va devoir passer par toutes les étapes prévues par l’administration. Or, une maison imprimée, c’est beaucoup de cases inexistantes dans les Cerfas, beaucoup de discussions avec un personnel de mairie dubitatif qui a du mal à comprendre comment l’idée saugrenue d’imprimer une maison a bien pu traverser l’esprit du bon François.
Et avant ces 24 heures joyeuses où la maison prendra forme, le maire prendra soin de bien étudier la demande de François avant de lui accorder son permis de construire. Neuf mois semblent un temps de gestation indispensable pour accorder à quelqu’un le droit de construire quelque chose sur un terrain bâtissable dont il est propriétaire et responsable (mais pas tout seul, apparemment – l’État a toujours son mot à dire !).
Au bout des neuf mois, les élections approchant, le maire se résigne. Son permis en poche, François lance l’opération « impression », lentement gagné par une sensation nouvelle qu’il apprendra progressivement à décoder comme « excitation ». Il voit donc sa maison prendre forme sous l’œil circonspect des voisins et de quelques journalistes plus curieux que convaincus. Et 24h plus tard, force est de constater que sa maison est bien là. La promesse a été tenue.
Son emménagement n’est pourtant pas pour tout de suite, loin s’en faut.
Hop hop hop, on ne peut pas laisser quelqu’un s’installer dans sa propre maison, bâtie sur son propre terrain, avec sa propre méthode et sous sa propre responsabilité, sans s’assurer d’abord par un tiers de la sécurité de tout ça (et, par la même façon, que toutes les petites cases ont été cochées dans les bons formulaires). La nouvelle équipe de la mairie fait donc intervenir la préfecture pour ralentir un peu la cadence et sécuriser tout ce qui peut l’être avant que le petit inconscient n’emménage imprudemment.
Manque de bol ? Malencontreuse stabilité des règles de la physique qui s’imposent à tous, même aux fonctionnaires ? En tout cas, la mairie et ses bataillons d’experts chargés de la sécurité sont obligés de rebrousser chemin : la solidité de la maison ne peut être remise en cause, au contraire de l’impressionnant argumentaire du maire (dont François se demande où il a trouvé le temps pour le bâtir).
Ce que la mairie aura échoué à faire, l’assureur s’en chargera fort bien en refusant de couvrir son étrange construction, tout comme, d’ailleurs, les autres principaux assureurs contactés.
« Eh oui m’sieur François, vot’maison, là, ne correspond pas aux critères habituels, tout ceci n’est pas très catholique avec du bon parpaing et du ciment bien homologué, et puis tout ça n’est pas norme NF, voyez-vous. Et qui nous dit qu’avec ce genre de bricolages vous n’allez pas tenter une petite fraude à l’assurance, hein, m’sieur Français, sauf vot’respect, bien sûr ? »
Bref. Malgré un nombre conséquent d’appels et de courriers de François au siège social de son assureur, il ne parviendra pas à faire reconnaître sa maison comme une maison. Il devra se rabattre sur une assurance en ligne inconnue du grand public. Ce qui est vrai pour l’assurance l’est aussi pour l’électricité aussi : on est en France, et EDF refuse donc de raccorder la maison au réseau. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, c’est finalement vers un fournisseur alternatif que François se tourne.
François ne comprend pas pourquoi tant de monde s’oppose à son projet pourtant simple.
Même les éboueurs municipaux refuseront un temps de s’occuper de sa maison, spécifiquement ; il faudra l’intérêt des médias locaux devant cette étrange discrimination pour que la direction en charge des ordures prenne enfin des mesures contre cette intolérable exclusion (d’autant moins justifiée que les impôts locaux, eux, ont continué à être prélevés).
François ne comprend pas pourquoi le sort s’acharne contre sa maison. Il va même jusqu’à s’imaginer que les maçons sont plus francs que maçons et qu’ils ont sciemment organisé un parcours d’obstacles bien gratiné contre les potentiels émules des impressions de maison, afin de décourager toute velléité de sortir des sentiers battus.
Mais voilà : François voit bien aussi qu’une frange très vocale de la France refuse l’exploitation du gaz de schiste, le nucléaire ou les OGM sur la base de peurs infondées. Il a bien noté aussi que ceux qui prétendent diriger les Français ont un retard technologique quasi-pathologique et de plusieurs années. Il s’est bien rendu compte que le personnel administratif de l’Élysée et de Matignon, engoncé dans une vision du monde que n’aurait pas reniée OSS 117, est suffisamment peu formé aux nouvelles technologies pour se laisser berner par le renseignement américain.
Pas de doute : avec l’État français, le parpaing a de beaux jours devant lui.
Vous vous reconnaissez dans cette histoire ? Vous pensez qu’elle ressemble à des douzaines de cas relatés par la presse ? Vous lui trouvez une résonance particulière dans votre vie ? N’hésitez pas à en faire part dans les commentaires ci-dessous !
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