Morceaux choisis - Jean-François Bernard
Par Claude_amstutz
Le peintre qui cherche son sujetEt ne le trouve pasEt l'enfant qui joue dans la rueEt qui trouve sa joieUn matin de maiOnt fini de se ressemblerLe peintre est en face de la réalitéEn face de sa feuille de papierLes doigts dans les couleursDe sa paletteLes doigts dans le nezA chercher la vérité du vertLa vérité de la paletteLa vérité qu'il veut défigurerPour en faire une tête abstraiteL'enfant est dans la rueAssis par terreIl joue avec les pierresLa vieLa simple vie vivanteEt il joue avec leur vieEt il trouve sa joieLe peintre se défaitComme un tricot mal faitBlanc comme le blancDe son portrait abstraitQui ne veut pas venirEt qu'il poursuitAu grand galopA cheval sur son chevaletMais le sujet s'enfuitEt il joue avec luiComme le chat avec la sourisL'enfant est raviLe peintre est hors de luiIl jette ses pinceauxMet sa palette en morceauxSa belle couleur à l'huile à l'eauEt d'un grand coup de balaiIl envoie tout par la fenêtreOuverte au beau matin de maiEt la feuille de papier blancComme une feuille morteTournoie et tombe doucementSur le trottoir où l'enfantJoue avec sa joieDans la joie du printempsL'enfant prend la feuille au ventLa plie entre ses doigtsLa plie en deux en troisEn quatre et puisEn huitEt il en fait un petit bateauPour aller sur l'eauDu ruisseau Et le petit bateau s'en va sur l'eauEt l'enfant rit dans le ruisseauEt le soleil du mois de maiSe promène dans le sillageDu bateauQui part qui part qui partPour un très loin voyage.Jean-François Bernard, Le peintre et l'enfant, dans: Le Temps de la Poésie no 5 (GLM, 1950)
image: René Magritte (nicolettacinotti.net)