Petit guide de résistance à l’Europe austéritaire
mercredi 30 avril 2014, par Attac FranceAttac vous propose, dans ce petit guide, une revue des enjeux des politiques menées en Europe, ainsi que des luttes et alternatives qui s’y développent. Nous en sommes persuadés : les mouvements de résistance à l’offensive néolibérale en cours en Europe peuvent rassembler et inverser la tendance.Depuis l’éclatement de la crise, les gouvernements européens et la Troïka - la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international - mettent en œuvre des coupes budgétaires dans les programmes sociaux (austérité) et des politiques au service des multinationales et investisseurs privés (compétitivité). Mais ces mesures suscitent de fortes résistances sociales dans de nombreux pays européens.Le rouleau compresseur des mesures d’austérité et de compétitivité est placé sous le signe de TINA, le surnom de Margaret Thatcher : There Is No Alternative (« il n’y a pas d’alternative »). Ainsi partout en Europe, les gouvernements issus de la droite ou de la gauche appliquent le même programme, inévitablement présenté comme « douloureux mais nécessaire ». Et ce alors même que ses résultats sont catastrophiques : aggravation du chômage, de la crise économique, tensions sociales… et retour en force de l’extrême-droite.Pourtant, des alternatives existent. Des mouvements sociaux se lèvent dans les pays les plus touchés par la crise. Ils contestent les privatisations, les reculs sociaux, la mise en pièce de la société et de la nature. Ces luttes, qui tentent de se coordonner au plan européen, se multiplient et dessinent d’autres projets de sociétés, mettant les besoins écologiques et sociaux de tou.te.s avant les profits d’une minorité.
Quand la compétitivité intoxique la société
La “compétitivité” est devenue l’unique horizon des politiques publiques pour les gouvernements européens. Elle promettrait des lendemains meilleurs en stimulant la croissance économique et l’emploi. Le principe est simple : dans un contexte de libre circulation des capitaux, les économies européennes sont en concurrence pour attirer investisseurs et entreprises.Pour maintenir des niveaux d’emploi et de croissance élevés, les gouvernements n’auraient qu’une seule alternative : se plier au bon-vouloir des marchés. Fiscalité aux petits soins, normes environnementales au rabais, exonérations de cotisations patronales, droits sociaux à la baisse, privatisations… Un véritable dumping social et environnemental qui coûte cher à la collectivité.Bien sûr, il ne serait pas “compétitif” de faire payer la facture aux employeurs ou aux plus riches (de potentiels investisseurs…) : ce sont donc les couches moyennes ou populaires qui sont mises à contribution à travers l’augmentation des taxes sur la consommation comme la TVA. Partout en Europe la fiscalité sur les entreprises est allégée au détriment des ménages.“Compétitivité” oblige, on taxe moins les facteurs dits mobiles (le capital, les revenus les plus élevés) et davantage les classes populaires et moyennes. En Grèce, cette logique est poussée à l’extrême : avec la baisse de la taxe sur les bénéfices des entreprises (de 25% à 10%) et la hausse des impôts sur la consommation, les employés et retraités supportent 55,5% de la charge fiscale, pour seulement 28% pour les entreprises. Un véritable “pillage fiscal” ! Et quand elles ne bénéficient pas d’impôts très bas, les multinationales comme Amazon et Google utilisent les différentiels de fiscalité selon les pays et les paradis fiscaux pour ne payer quasiment pas d’impôts. Par contre les contribuables paient pour renflouer les banques : en Irlande 40% du PIB a été injecté dans le secteur bancaire par les contribuables.Les politiques de compétitivité consistent aussi à “modérer” voire réduire les salaires et les droits sociaux au plus grand bénéfice des entreprises. En Europe du Nord comme dans les pays du Sud, elles frappent les salariés de plein fouet :– en Grèce, depuis 4 ans, le pouvoir d’achat a baissé de 37%, les conventions collectives qui garantissent les droits des travailleurs ont été tout simplement suspendues en 2011.– au Portugal, le nombre de salarié.e.s couverts par des conventions collectives est passé de 1,5 million en 2010 à 300 000 en 2012.– en Espagne, le niveau moyen des salaires est maintenant inférieur d’un tiers à celui de la zone euro et le gouvernement s’en félicite car cela “dope les exportations”.En Europe du Nord, de telles politiques constituent un modèle pour la plupart des gouvernements :– en Allemagne, le “modèle” basé sur la compression des salaires pour doper les exportations a fait exploser la pauvreté dans une partie de la société, et oblige aujourd’hui à établir un salaire minimum.– avec la loi sur la sécurisation de l’emploi de 2013, la France s’est engagée dans la voie des “accords compétitivité-emploi” qui autorisent les entreprises à diminuer les salaires. Le Medef qui réclame la baisse des “charges” sociales et fiscales a été entendu, et à nouveau avec le “Pacte de Responsabilité”.La compétitivité n’est cependant pas qu’une affaire fiscale ou sociale. En Grèce et en Roumanie, des mines d’or ont rouvert malgré les conséquences dramatiques pour l’environnement (avec notamment le déversement de cyanure en quantité). Partout en Europe, les lobbies de l’industrie extractive se mobilisent pour faire autoriser l’extraction de gaz de schiste, malgré les dangers notoires associés à cette pratique. La Pologne, fer de lance de l’exploitation du gaz de schiste en Europe, en subit aujourd’hui les conséquences.Le désir d’attirer les grands investisseurs à tout prix conduit les décideurs européens, nationaux et locaux, à multiplier les privatisations avec pour conséquence des tarifs qui explosent pour les consommateurs.Les multinationales françaises ont été invitées par le Président de la République grec à participer à cette grande braderie : Suez, candidate au rachat du service des eaux à Salonique, ou Vinci, qui a racheté les dix principaux aéroports du Portugal.La “séduction” des investisseurs passe aussi par le financement de grands projets inutiles voire nuisibles, comme l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou la ligne de chemin de fer Lyon-Turin. Des projets au plus grand bénéfice du privé, dont l’utilité sociale est négligeable par rapport aux coûts économiques et environnementaux.L’université et la recherche n’y échappent pas : elles doivent, elles aussi, se soumettre au dogme de la compétitivité, entrer dans des logiques de concurrence et trouver des financements privés. La recherche est entièrement tournée vers des rentabilités de court terme et les chercheurs de plus en plus soumis à cette logique de concurrence.La mobilisation citoyenne a permis de rejeter l’accord commercial anti-contrefaçon (mieux connu sous le sigle ACTA) qui aurait signifié des reculs considérables pour le respect de la vie privée, des droits des citoyen.ne.s sur internet, pour l’accès aux médicaments génériques ou l’utilisation de semences paysannes. Avec l’ouverture de la négociation d’un accord transatlantique entre l’Union européenne et les Etats-Unis, ce sont les normes sociales, environnementales et sanitaires qui sont attaquées, parce que présentées comme un obstacle à la “compétitivité”. Les entreprises pourraient attaquer les Etats devant des tribunaux arbitraux privés. Une mobilisation citoyenne des deux côtés de l’Atlantique s’organise pour faire échec à ce projet.Ces politiques de compétitivité sont doublement mortifères : elles instituent la concurrence entre les peuples, plonge les Etats dans une guerre économique qui détruit les modèles sociaux issus de longs combats… Et contribue ainsi à la montée des courants nationalistes et xénophobes.L’austérité : une catastrophe économique, une attaque radicale contre les droits sociaux
L’austérité est en quelque sorte une manière de socialiser le coût des politiques de compétitivité qui garantissent, elles, les profits privés.Le principe est le suivant : avec la crise financière, le renflouement des banques, la crise économique et la récession, les gouvernements ont accumulés des dettes publiques importantes qui contraignent les budgets. Impossible pour eux de “faire marcher la planche à billets” (la Banque centrale européenne s’y oppose) ou d’augmenter les impôts sur les plus riches ou sur les entreprises, “compétitivité oblige”.Il est délicat de se contenter d’accroître la pression fiscale sur les classes moyennes et populaires : la solution choisie par les tenants de l’austérité pour équilibrer les dépenses et recettes consiste donc à sabrer dans les dépenses publiques. Cela passe par des coupes dans les effectifs et salaires de la fonction publique (et, donc, dans les services publics), ainsi que dans la protection sociale (chômage, santé, logement, retraites…).En Grèce, au Portugal, en Espagne, on ferme des écoles et on licencie des enseignant.e.s. On ferme ou on privatise des hôpitaux, on brade les services publics au profit de multinationales et d’intérêts privés locaux.La précarité de l’emploi et des conditions de vie devient la norme, les retraites sont sacrifiées, les jeunes sont condamné.e.s à l’émigration, la baisse du niveau de vie est radicale en à peine deux ou trois ans, le renoncement à relever le défi écologique est cyniquement justifié par la crise économique et sociale.Les pays du Nord de l’Europe ne sont pas en reste. En France, le président Hollande a annoncé un plan d’économie de 70 milliards d’euros sur l’ensemble de son quinquennat. En 2010, le gouvernement britannique a mis en place un plan d’austérité sur 5 ans à hauteur de 90 milliards d’euros de coupes, soit 14% des dépenses. Avec au programme, suppression d’allocations sociales, relèvement à 66 ans de l’âge de départ à la retraite, privatisations partielles ou totales (santé, police, services sociaux, services publics locaux…).Cette politique contient pourtant son propre échec : la récession qu’elle organise accroît les déficits et la dette publique dans toute l’Europe. Cet échec justifie de nouvelles coupes qui aggravent la crise. L’austérité est donc un programme sans fin de démantèlement du droit du travail et de la protection sociale, ainsi que de privatisation des services publics.Ses résultats sont catastrophiques à tous égards : les taux de chômage atteignent des sommets supérieurs à ceux atteint lors de la crise des années 30 : près de 30% en Grèce et au Portugal. Celui des jeunes est vertigineux : 63% en Grèce, 57% en Espagne. Cette politique brutale accroît les inégalités. La justice sociale, l’aspiration démocratique, l’émancipation humaine deviennent des obstacles qu’il faut réduire.Le cas grecDe 2010 à 2012, le pouvoir d’achat a chuté de 50% en Grèce. Les mesures d’austérité ont brisé la consommation intérieure, les entreprises n’ont plus de débouchés, les faillites se multiplient. Le PIB s’est rétracté de 25% de 2009 à 2012. Le chômage a été multiplié par 3 entre 2009 et 2012. En 2013, sur les 1,3 million de chômeurs, seulement 200 000 bénéficiaient d’allocations allant de 180 à 468€. Les jeunes paient un très lourd tribut, avec 56,4% de chômage. De nombreux n’ont qu’un souhait : émigrer.La pauvreté atteint des records avec plus d’une personne sur 5 en dessous du seuil de pauvreté. Pour la première fois depuis 1950, la mortalité infantile a augmenté.Les coupes budgétaires ont eu des conséquences dramatiques : l’exemple de la santé en témoigne. Depuis 2010 le financement des hôpitaux publics a diminué de 40% alors que, dans le même temps, la demande de soins hospitaliers augmentait de 24%. La réduction du personnel et la détérioration des infrastructures ont gravement réduit l’accès aux soins.Ainsi la Troïka n’a pas sauvé la Grèce : elle l’a plongée dans le chaos. La dette et les déficits ont explosé et la divergence de compétitivité s’est accrue entre la Grèce et les autres pays de l’Union européenne.La Grèce n’est pas un cas isolé, loin de là, même si elle a connu le “traitement” le plus brutal.