Robert Cahen, La Barre jaune, 2014, 6’, projection murale en boucle, couleur, sonore. Image: Rob Rombout /Montage : Thierry Maury. Production : Pixea Studio. Collection de l’artiste. ADAGP Paris 2014 Photos : Musées de Strasbourg/Mathieu Bertola
Tandis que Bill Viola s’offre une rétrospective au Grand Palais à Paris, Robert Cahen, artiste interdisciplinaire et pionnier de l’art vidéo en France, s’offre un parcours autour de son travail dans les salles du Musée d’art Moderne et Contemporain de Strasbourg.
Vidéaste, réalisateur et compositeur de formation (il a notamment travaillé avec Robert Schaeffer), c’est dans les années 1970, époque où la création vidéo n’en est qu’à son commencement que l’artiste entreprend de transposer le langage de la musique concrète en vidéo et à développer son propre vocabulaire, son propre discours.
Son œuvre est reconnaissable entre toutes, parce qu’issue d’une porosité entre les arts ; dimension narrative, jeu de superpositions, de flous, de ralentis, de surimpressions font partie de son vocabulaire plastique et d’un traitement expérimental de la vidéo.
Robert Cahen invente une forme plastique nouvelle et un univers poétique, qui explorent et mettent en relation le son et l’image. Le voyage, la rencontre et la mort sont des thématiques universelles qui reviennent sans arrêt dans son travail. Ainsi l’artiste dans cet “entrevoir” instaure des rapports inédits entre le réel et l’image, entre l’espace visuel et l’espace mental. Un entre-deux mondes, dans lequel il présente son univers singulier, d’abord celui qui se joue entre les images, ensuite celui qui, lié au temps, aborde la question de la mémoire, pour finir avec la question du voir entre, c’est-à-dire du dialogue qui se noue entre les personnes filmées et le spectateur.
Robert Cahen, La Traversée du rail, 2014, 7’30’’, projection en boucle sur feuille écran posé au sol, couleur, sonore. Image : Robert Cahen. Production : Pixea Studio. Collection de l’artiste © ADAGP Paris 2014 Photos : Musées de Strasbourg/Mathieu Bertola
Dans deux vidéos, Robert Cahen porte l’affect à son paroxysme. Finalement, éloignée l’une de l’autre dans la scénographie, Françoise (2013) et Françoise endormie (2014) apparaissent comme un diptyque. Dans la première, l’artiste filme, en gros plan, sa sœur. Un visage, une image, qui traduit de légères expressions, quasiment imperceptibles mais un regard profond, proche de celui de Robert Cahen lui-même. Tandis que dans l’autre, le spectateur est invité à contempler le corps de Françoise “endormie”. Un basculement à la verticale de l’image, une mise en scène particulière : l’image de Françoise est entourée d’un rideau. Françoise semble avoir tiré le rideau sur sa vie, mais l’artiste, au travers de cette installation, lui rend hommage. Beaucoup d’amour émane de ces deux vidéos. Robert Cahen écrit lui-même : « (...) Rien n’avait été prémédité pour ce tournage mais à l’instant de cette rencontre avec elle, posée là devant moi, je décidais d’en garder une image vivante et dernière. Alors je me suis mis à la filmer mais d’une manière particulière, insistante et répétitive et pour conjurer l’immobilisme de son corps, je passais et repassais sur son visage, tentant une sorte de dialogue avec elle, attendant une réaction de sa part (...) ».
Robert Cahen, Le Maître du temps - Pierre Boulez dirige "Mémoriale", 2011. Interprété par l’Ensemble Intercontemporain. 7’, deux projections HD en boucle sur une surface, couleur, sonore, Guillaume Brault chef opérateur, Frédéric Prin, ingénieur du son. Production : Le Fresnoy - Studio national des arts contemporains. Collection de l’artiste © ADAGP Paris 2014"/Photos : Musées de Strasbourg/Mathieu Bertola
Un très beau dispositif a également attiré mon attention. Il s’agit de la vidéo Le Maître du temps – Pierre Boulez dirige "Mémoriale". Le spectateur est invité à déambuler dans l’espace pour découvrir le chef d’orchestre à la fois de face et de dos. Un panneau à image double nous permet d’apprécier les gestes très restreints du compositeur.
Dans la traversée du rail, Robert Cahen a placé une caméra fixe dans l’axe des rails d’une voie ferrée. Une question me traverse constamment l’esprit : un train va-t-il surgir au beau milieu de ce ballet de moteurs, de vélos, de motocyclettes et de piétons qui traversent pêle-mêle ce passage à niveau dans un brouhaha extrême ?
Robert Cahen, Sanaa, passages en noir, 2007, 7’07”, projection vidéo, couleur, sonore. Image : Robert Cahen /Montage, effets vidéo : Thierry Maury/ Musique : extrait de La Passion selon Saint-Jean de J.S. Bach. Production : Boulevard des Productions. Collection de l’artiste © ADAGP Paris 2014 Photos : Musées de Strasbourg/Mathieu Bertola
Dans Sanaa, passage en noir, le spectateur observe une chorégraphie, un merveilleux ballet de femmes voilées, filmées de dos. Les vêtements noirs s’animent sur les premières mesures de la passion selon Saint-Jean de Jean-Sébastien Bach. Un entre deux mondes, au Yémen, dans une rue de la capitale scindée par un rayon de soleil comme pour exprimer un passage de l’ombre à la lumière ? Dans cette somptueuse vidéo, l’artiste met en exergue et en relation deux mondes : l’Orient et l’Occident. En sachant qu’il s’agit de la vision d’un occidental.
Robert Cahen est un artiste discret, mais pas effacé et les seize œuvres qui composent le parcours sont toutes d’une grande qualité. L’auteur travaille l’image autant que le son et explore les frontières entre les arts. Robert Cahen joue autant sur l’esthétique, que sur l’affect. Et si la rencontre est l’un de ses thèmes de prédilection, c’est d’une véritable entrevue subtile et en mouvement dont il est question dans cette exposition. Etonnée, surprise et enchantée, je ne peux que vous encourager, pour le peu de temps qu’il reste, à aller à la rencontre de ces images animées.
Anaïs.
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ENTREVOIR
ROBERT CAHEN
MUSÉE D’ART MODERNE ET CONTEMPORAIN
15 MARS / 11 MAI 2014
Ouvert tous les jours sauf le lundi de 10h00 à 18h00
Lieu :
1 place Hans Jean Arp, Strasbourg
Tél. : +33 (0)3 88 23 31 31
Tram : Musée d’Art moderne et contemporain.