Celui qui a déjà voyagé se reconnaîtra dans ces mots de Robert Byron, alors sur le départ pour l’Oxiane au travers du Liban, puis de la Syrie ; il se reconnaîtra dans ce qu’on attend de lui quand il voyage, car il voyage forcément avec les poches pleines de devises étrangères bonnes à être soutirées contre le moindre service, comme si l’effort financier que représente un voyage n’était pas perçu par ceux qu’on visite, dans les pays où l’on voyage, parce que l’ailleurs d’où l’on vient est forcément un eldorado. Difficile parfois de faire passer le message lorsque la misère est présente et parfois lourde à supporter, mais cela fait partie du jeu, même si c’est profondément agaçant d’être sans arrêt sollicité. C’est le prix à payer (en plus) pour courir le monde…
- Vous avez des affaires à Téhéran, monsieur ?
- Non.
- Alors qu’est-ce que vous faites, monsieur ?
- Je fais un voyage en Syrie.
- Vous êtes un officier de marine, monsieur ?
- Non.
- Alors qu’est-ce que vous êtes, monsieur ?
- Je suis un homme.
- Quoi ?
- HOMME.
- Je comprends. Touriste.Même le mot voyageur est désuet. Et non sans raison : il serait trop élogieux. Le voyageur des temps anciens était celui qui partait, avide de savoir, et que les indigènes accueillaient à bras ouverts, fiers de montrer ce qui faisaient leur originalité. En Europe, les relations basées sur ce type de reconnaissance mutuelle ont depuis longtemps cessé d’exister. Mais en Europe, le « touriste » n’a plus rien d’un phénomène : il fait partie du panorama et, dans neuf cas sur dix, il n’a guère d’argent à dépenser en plus de ce qu’il a déjà dépensé pour accomplir son « tour ». Ici, il reste une erreur de la nature. Si vous venez de Londres et que vous vous trouvez en Syrie pour conclure une affaire, c’est que vous êtes riche. Si vous faites un aussi long trajet sans obligation, c’est que vous êtes très riche. Personne ne se souciera de savoir si vous aimez l’endroit, ou s’il vous ennuie, ni ne songera à vous demander le pourquoi de l’un ou de l’autre : un touriste est un touriste, comme une gale est une gale — un parasite obligé de l’espère humaine, une vache qu’on trait pour son lait, un hévéa qu’on saigne pour son caoutchouc.
Robert Byron, Route d’Oxiane,
Payot et Rivages, 2002
Photo d’en-tête © Christian Bachellier