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Pierre Assouline commence Sigmaringen à peu près là où Antoine Blondin terminait L’humeur vagabonde par cette
phrase : « Un jour, nous
prendrons des trains qui partent. » Elle devient, en ouverture : « Un jour, nous avons recommencé à
prendre des trains qui partent. » Julius Stein, majordome au château
de Sigmaringen, prend un de ces trains pour rendre visite, en France, à Jeanne
Wolfermann.
Ils se sont connus pendant l'étrange période où les
débris du régime de Vichy ont trouvé refuge en septembre 1944 dans ce bout
d’Allemagne devenu, le temps d’un exil provoqué par l’avancée des armées
alliées, territoire français. Il y a là Pétain, Laval, des ministres, des
journalistes, des collaborateurs de diverses espèces. Il y a aussi
Louis-Ferdinand Céline, qui décrira le lieu, dans D’un château l’autre, comme « fantastique
biscornu trompe-l’œil », en précisant le nombre des exilés : 1142.
Parmi lesquels Jeanne, donc, en charge du personnel français au service des
membres d’un gouvernement qui croient encore, pour une partie d’entre eux,
avoir les moyens de peser sur les événements à venir.
La documentation de Pierre Assouline est solide, on peut lui
faire confiance. La confiance est renforcée encore par l’énumération de ses
nombreuses sources en fin de volume. Il n’est donc pas étonnant qu’on ait
l’impression d’y être, dans le dédale d’une bâtisse prestigieuse et ancienne où
l’occupation des étages, des pièces et des couloirs, où l’usage de l’ascenseur
sont prétextes à conflits entre les personnes. A travers ces conflits
domestiques additionnés de caprices ou de vols, les caractères des uns et des
autres se révèlent mieux encore que par leurs positions sur un échiquier
politique très instable. La vie est présente au château et dans la ville
voisine, avec ses différentes facettes.
On doit l’impression de vérité à un narrateur de fiction aux
qualités multiples, dont le sens de l’observation n’est pas la moindre. Julius,
au service des princes de Hohenzollern avant l’arrivée des Français, est un
homme de principes rigoureux. Il ne lâche rien, ses blessures personnelles sont
soigneusement masquées et il faudra attendre que s’établisse une plus grande intimité entre
Jeanne et lui pour qu’il révèle sur quoi est bâtie son inflexibilité. On
découvre alors, sous la figure rigide du majordome, celle d’un résistant de la
première heure, à sa manière. Noble et pas la moins efficace, grâce au pouvoir
symbolique de la musique.
De la part d’un Pierre Assouline, non seulement grand
connaisseur de la collaboration mais aussi porté sur les mystérieux mécanismes
de la littérature, on espérait trouver un portrait de Louis-Ferdinand Céline
qui sorte des clichés habituels. On n’est pas déçu. Entre le médecin qui achète
des médicaments pour les distribuer, l’homme habillé de « deux canadiennes superposées qui ne tenaient que par leur crasse
fermées par une ficelle pour toute ceinture » ou celui qui engueule
Léon Degrelle venu faire une conférence, les contradictions ne s’expliquent pas
seulement par « un léger
grain ».