Pour observer les humains d'une époque et d'une contrée, il existe plusieurs manières de faire.
Montesquieu avait fait venir des Persans, dans Les lettres persanes, Voltaire un Huron dans L'Ingénu. La Fontaine faisait intervenir des bêtes dans ses fables, mais elles étaient moins là pour observer les humains que pour les personnifier. Christopher Gérard a pris le parti dans Osbert & autres historiettes de faire observer les humains par des bêtes, à qui il prête des réflexions anthropomorphes sur eux, considérés par elles comme des humains de compagnie.
Cette inversion des rôles et cette mise à distance permet à l'auteur de souligner les travers et les limites des humains avec humour, et particulièrement ceux de notre époque que l'auteur brocarde volontiers. Un des ses chats, par exemple, parle d'eux en ces termes:
"Mes maîtres se flattent de ne posséder aucun livre; ces rustres préfèrent les vidéogrammes de kung-fu et les disques d'infra-musique, qui m'ont trop longtemps cassé les oreilles et abîmé les yeux. Jusqu'à l'écoeurement j'ai dû subir leurs films aux dialogues niais avec les inévitables combats rapprochés, poursuites de bolides virtuels et ruts sonores. Et je ne dis rien des groupes "métalliques"qui me gâchaient mes siestes, qui interrompaient mes méditations sur mon radiateur en hiver, sur ma terrasse au soleil."
Aux yeux du bestiaire de Christopher Gérard, les humains deviennent des créatures naïves, primitives, sûres d'elles, dominatrices, pas toujours fiables ni recommandables, souvent inférieures et malodorantes, parmi lesquelles il est possible de jouer les mâles contre les femelles et inversement.
Le bestiaire de l'auteur comprend:
- l'écureuil Osbert, "Seigneur à huit dents", qui trouvent les mâles humains un cran au-dessus des femelles en raison de leur plus grande proximité avec le monde animal;
- le bouledogue Smiley, membre du MI7, au service de Sa Gracieuse Majesté depuis 15 ans, véritable bouledogue anglais, qui ne peut faire confiance à son humain d'agent;
- des chats, sur le compte desquels les humains se trompent en les considérant comme perdus alors qu'ils ont mené à bien leurs projets d'évasion;
- des canetons, qui, instruits par un vieux colonel des canards, évoluent sur la Tamise et observent des humains embarqués ou postés sur les berges, qu'ils trouvent dénués ou non d'intérêt;
- un goupil des villes, qui s'attriste que les humains ne veuillent pas de lui;
- un écureuil gris, qu'un fox-terrier rigolard voit aguicher une humaine en faisant le beau;
- un moineau, dont le terrain de chasse et le théâtre privé sont Les Deux Magots, à Paris, café fréquenté par des célébrités;
- un ours d'appartement, adopté, qu'emmène partout sa maîtresse et qui se demande quelles peuvent bien être ses origines.
Ne sont pas seulement antropomorphes les réflexions, mais les expressions utilisées par les animaux, par exemple celles où le mot patte se substitue aux mots pied, main ou bras, telles que d'une patte assurée, un tournepatte, reprendre en pattes, les pattes croisées dans le dos, les pattes m'en tombent ou baisser les pattes... Dans le même temps, ces bêtes sont bien des bêtes dans leurs comportements, décrits avec précision...
Certaines de ses bêtes se retrouvent parfois d'une historiette l'autre, ce qui contribue à façonner tout un monde qui devient ainsi familier au lecteur et qui donnent une unité au livre, renforcée par l'unité de ton, satirique et humoristique. Ce qui n'empêche pas parfois l'auteur de tenir des propos plus profonds, sur la mort, notamment:
"Je tâcherai jusqu'à mon dernier souffle de faire bonne figure et saurai partir comme j'ai vécu, sur la pointe des pattes."
Question de dignité qui n'est pas l'exclusivité des humains...
Francis Richard
Osbert & autres historiettes, Christopher Gérard, 112 pages, L'Age d'Homme