Les Cahiers Européens De L’imaginaire
Le Fake
CNRS Éditions
« C’est trop beau pour être vrai ». L’infini dans le creux de la main, combien de fois a t-on préféré croire à l’imposture plutôt que se prêter au jeu, ne serait-ce que par peur d’être déçu ? La faute au fake, du faux plus vrai que nature. Ou la fidèle reproduction d’un réel amélioré, dont la folie de Dubaï ou Disney Land se veulent les meilleures illustrations possibles: leur magie n’est qu’un leurre, aussi plaisante soit-elle. S’il n’existe aucun mot dans la langue française pour décrire ce qui n’est pas authentique, les termes qui s’en rapprochent dénotent avec une tonalité presque sinistre, emprunte de la terreur de corrompre le bel original. Étonnant venant d’une société qui vit au cœur même du simulacre, entre implantations mammaires, maquillage, retouches photos, et super-héros inventés de toutes pièces. L’ombre d’un doute sur la polémique du vrai.
Des technosciences à la biologie et en passant par le sport, le fake prolifère si bien qu’il envahit toutes les sphères du quotidien à une vitesse épidémique, tels ces zombies fictifs dont la télé est infestée. À l’image d’un conte trompeur, il cherche toujours à s’affirmer comme vrai, n’en déplaise à l’Homme occidental constamment à l’affût pour le traquer. Objet de soupçons dans un monde contrefait, "neuronal et distordu" : en témoigne le web qui n’a nul besoin d’exister pour être habité. Si "le vrai est toujours le jouet de son envers", le fake réunit pourtant ces deux contraires dans une harmonie paradoxale et une logique qui lui est propre. Support vide sur lequel absolument tout peut se greffer, il potentialise les vérités et étanche notre soif d’absolu collective. Ultime subterfuge lorsque l’on sait que « les idées fausses sont des faits vrais », comme aimait le rappeler Jean Servier.