Il est des disques que l'on n'attend pas et à côtés desquels on serait passé sans même s'en rendre compte si notre attention n'avait été attirée dessus. Une nouvelle compilation consacrée à Purcell a de quoi susciter autant de haussements d'épaule que de froncements de sourcils, car outre un manque flagrant d'originalité – ceux d'entre vous qui suivaient déjà l'actualité du disque il y a vingt ans n'ont pu manquer le Pocket Purcell d'Andrew Parrott (Virgin) et l'Essential Purcell de Robert King (Hyperion), deux projets du même genre parus à l'occasion du tricentenaire de la mort du compositeur en 1995 –, le premier mouvement est toujours de se demander si les musiciens n'ont pas mieux à faire que rabâcher le même répertoire que leurs aînés quand les bibliothèques regorgent sans nul doute d'inédits passionnants.
Ces réserves de principe ne tiennent pas longtemps lorsqu'on lance l'écoute du récital que signent Voces8 et Les Inventions et l'on se retrouve, au bout du parcours aux émotions contrastées qu'ils proposent, avec le sentiment que le temps a passé comme un rêve et un vrai sourire sur les lèvres. En dehors des songs qui ne se seraient pas idéalement intégrées au programme, il ne manque à ce dernier aucune des formes vocales dans lesquelles l'Orpheus Britannicus s'est illustré durant sa trop courte carrière : opéras, musiques de scène, odes, anthems, toutes sont réunies pour contribuer à donner un avant-goût à la fois roboratif et stimulant de sa riche production en ouvrant l'appétit pour aller ensuite plus loin dans les découvertes. Du côté des tubes, on trouvera deux extraits du semi-opéra King Arthur (1691), « What power art thou » (le fameux « air du Froid »), confié, comme il se doit, à une basse, en l'occurrence Dingle Yandell qui en livre une lecture glaçante aux lueurs parfois sépulcrales, et la « Fairest Isle » évoquée avec beaucoup de finesse et de sensibilité retenue par la soprano Andrea Haines, mais également le majestueux chœur d'ouverture de l'Ode à sainte Cécile (1692), « Hail ! Bright Cecilia » qui a fini par lui donner son titre, l'air virevoltant « Strike the viol » extrait de l'Ode « Come, ye sons of art » (1694), la dernière des six écrites par Purcell pour l'anniversaire de la reine Mary, ou Thou knowest, Lord, the secrets of our hearts, anthem bourrelé de douleur pudique chanté lors de ses funérailles, moins d'un an plus tard. Pour le public moins au fait du vaste catalogue du compositeur, des pièces telles « By beauteous softness mix'd with majesty », une tendre perle tirée de l'Ode d'anniversaire « Now does the glorious day appear » (1689) offerte avec beaucoup de grâce par le contre-ténor Barnaby Smith, dont l'absence d’afféterie est à saluer, ou « Behold O mightiest of gods » que l'on trouve dans le Masque of Cupid qui referme le semi-opéra The Prophetess or The history of Dioclesian (1690), constitueront probablement, en revanche, de savoureuses découvertes.
L'interprétation s'impose au plus haut niveau, et ce pour plusieurs raisons, dont la première est, bien entendu, les qualités individuelles de chacun des ensembles. Voces8 défend une esthétique vocale indéniablement britannique – cet ensemble est majoritairement constitué de chanteurs ayant été formés au sein du chœur de l'abbaye de Westminster – avec des voix claires et peu vibrées, mais qui n'oublient cependant pas d'être chaleureuses. Elles se marient parfaitement avec le caractère très français des Inventions, dirigées du clavier par Patrick Ayrton, qui trouvent ici à mieux faire valoir leurs couleurs et leur souplesse que dans leur premier disque consacré à des pièces intéressantes mais hélas pas inoubliables de Joseph Touchemoulin. Ce dialogue entre les deux styles nationaux rend parfaitement justice aux inspirations de Purcell, dont on sait à quel point elles ont puisé à l'une et à l'autre. Ce programme est, en outre, porté, du début à la fin, par un même esprit d'équipe, une volonté commune de se mettre au service de la musique avec humilité – l'attitude exactement inverse de celle qui ruinait le récital de Scherzi Musicali consacré à ce répertoire en avril 2013 (Alpha) – et enthousiasme ; les pièces y gagnent une fraîcheur et une immédiateté sensible qu'on ne rencontre pas si fréquemment et qui, parce qu'elles sont soutenues par une véritable intelligence musicale qui ne s'embarrasse pas de problèmes d'ego, sont accueillantes à l'auditeur, quel que soit son degré de familiarité avec Purcell. Saluons, enfin, la qualité de la prise de son qui donne à cette réalisation un corps et une respiration qui renforcent encore sa présence et sa séduction.
Quelques semaines après que L'Arpeggiata a déversé, à grands renforts de matraquage publicitaire incompréhensiblement relayé par certains médias dits spécialisés, ses tripatouillages aux chaloupements sirupeux ou aux envolées fadement éthérées sur un public que cet ensemble et ceux qui lui prêtent leur voix prennent visiblement et malheureusement de plus en plus pour un gogo, la rectitude de Voces8 et des Inventions, la confiance qu'ils font à cette musique qu'ils n'ont nul besoin de travestir pour la rendre passionnante et émouvante apparaissent comme une bénédiction, et leur Purcell collection s'impose comme indispensable à la discothèque du débutant, de l'amateur et de tout honnête homme.
Voces8
Barnaby Smith, direction artistique
Les Inventions
Patrick Ayrton, clavecin, orgue & direction artistique
Extraits proposés :
1. Vidéo : « Strike the viol », extrait de Come, ye sons of art, ode pour l'anniversaire de la reine Mary Z.323
2. Audio : « Hail ! Bright Cecilia », extrait de l'Ode à sainte Cécile Z.328
Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :