Par Dominique Bidou
, Ingénieur et démographe
La décision européenne d'abandonner les subventions aux énergies renouvelables illustre la difficulté de sortir de l'économie des énergies fossiles. Avec des risques graves pour le climat de la planète...
L'affaire de l'abandon dès 2015 des subventions aux énergies renouvelables (ENR) est symptomatique d'un phénomène inquiétant. Pour l'instant, ce ne sont pas les ENR qui coutent cher aux finances publiques, mais les énergies fossiles : 8% des recettes publiques à l'échelle de la planète, soit plus de 2 % du PIB mondial (1). Des subventions soit en aides à la production, soit en aides à la consommation. Le FMI recommande de les supprimer car elles provoquent de nombreuses distorsions et s'avèrent anti économiques. Au lieu de cela, haro sur les ENR !
Selon que vous serez puissant ou misérable... Nous pourrions observer ce combat avec la philosophie de La Fontaine, mais la situation n'est pas anodine, et ne concerne pas que les énergéticiens. Tout se passe comme si l'ancien monde, celui de l'économie carbonée, que l'on sait condamnée d'ici quelques dizaines d'années (et le dernier rapport du GIEC le confirme s'il en était besoin), voulait empêcher le nouveau d'émerger. Nous savons bien que les crises se manifestent à la charnière entre un monde ancien, qui n'en finit pas de mourir et use de tous les artifices pour obtenir une prolongation, et un monde nouveau qui peine à sortir des limbes. Ce n'est pas nouveau, mais le changement climatique, qui sera aggravé du fait de ces lenteurs, risque fort de bouleverser nos sociétés, et de mettre en péril nos civilisations.
La lutte entre les deux mondes, représentés l'un par les énergies fossiles et l'autre par les renouvelables, nous interpelle fortement, car elle pourrait bien se traduire par une forme de suicide collectif.
Programmer plutôt que supprimer d'un coup
Bien sûr, les subventions aux énergies nouvelles ont pu être maladroites, créer des rentes de situation, déséquilibrer des échanges commerciaux. Il faut les évaluer, les adapter aux vrais besoins, et les corriger au fur et à mesure que les ENR progressent sur leur courbe d'apprentissage et s'approchent de leur maturité. De là à les supprimer, il y a un gouffre, à moins de supprimer également les subventions aux autres énergies, carbonées ou nucléaires. Nous savons que cette dernière thérapie serait trop violente, qu'elle n'est pas réaliste. On ne peut pas tout supprimer d'un coup, mais une baisse peut être programmée, avec un objectif de suppression à terme.
L'offre d'énergie carbonée a structuré nos économies modernes, issues de la révolution industrielle. Elle a permis à des empires de se constituer. Les intérêts dominants aujourd'hui sont liés à l'économie ancienne, et s'opposent à l'émergence de la nouvelle, qui se constitue sur de nouvelles bases et redistribue les cartes de la prospérité. Ils s'efforcent de retarder l'échéance, alors qu'il est clair que chaque retard pris dans la lutte pour l'atténuation du changement climatique sera cher payé.
L'Europe et le leadership de la nouvelle économie
Le souhait exprimé par la Commission européenne de supprimer les aides aux ENR arrive dans ce contexte. L'ancienne économie ne veut laisser aucun espace à la nouvelle. Le risque est grand que cette dernière ne se développe ailleurs, et prenne son essor hors de l'Europe. Celle-ci aura alors loupé le train du futur, en s'accrochant à des valeurs périmée. Dommage car elle a tous les atouts pour prendre le leadership de la nouvelle économie, avec un capital humain et un savoir faire industriel exceptionnels.
Appelons deux fortes têtes pour conclure ce propos. Albert Einstein, qui nous rappelle que l'on ne résout pas les problèmes avec l'état d'esprit qui les a fait naître, et John M. Keynes, qui a observé que le plus dur n'était pas d'adhérer aux idées nouvelles, mais de s'affranchir des anciennes. De notre capacité à surmonter cette difficulté dépend notre avenir.
(1) Selon une note du FMI : Réforme des subventions à l'énergie. Enseignements et conséquences, 28 janvier 2013