Fernand Cormon (1845-1924), In Erwartung
Extrait GERARD DE NERVAL
VOYAGE EN ORIENT III. Histoire du Calife Hakem I. Le Hachische Sur la rive droite du Nil, à quelque distance du port de Fostat, où se trouvent les ruines du vieux Caire, non loin de la montagne du Mokatam, qui domine la ville nouvelle, il y avait quelques temps après l’an 1000 des chrétiens, qui se rapporte au quatrième siècle de l’hégire musulmane, un petit village habité en grande partie par des gens de la secte des sabéens. Des dernières maisons qui bordent le fleuve, on jouit d’une vue charmante, le Nil enveloppe de ses flots caressants l’île de Rodda, qu’il a l’air de soutenir comme une corbeille de fleurs qu’un esclave porterait dans ses bras. Sur l’autre rive, on aperçoit Gizeh, et le soir, lorsque le soleil vient de disparaître, les pyramides déchirent de leurs triangles gigantesques la bande de brume violette du couchant. Les têtes des palmiers-doums, des sycomores et des figuiers de Pharaon se détachent en noir sur ce fond clair. Des troupeaux de buffles que semble garder de loin le sphinx, allongé dans la plaine comme un chien en arrêt, descendent par longues files à l’abreuvoir, et les lumières des pêcheurs piquent d’étoiles d’or l’ombre opaque des berges. Au village des sabéens, l’endroit où l’on jouissait le mieux de perspective était un okel aux blanches murailles entouré de caroubiers, dont la terrasse avait le pied dans l’eau, et où toutes les nuits les bateliers qui descendaient ou remontaient le Nil pouvaient voir trembloter les veilleuses nageant dans des flaques d’huiles. A travers les baies des arcades, un curieux placé dans une cange au milieu du fleuve aurait aisément discerné dans l’intérieur de l’okel les voyageurs et les habitués assis devant de petites tables sur des cages de bois de palmier ou des divans recouverts de nattes, et se fût assurément étonné de leur aspect étrange. Leurs gestes extravagants suivis d’une immobilité stupide, les rires insensés, les cris inarticulés qui échappaient par instants de leur poitrine, lui eussent fait deviner une de ces maisons où, bravant les défenses, les infidèles vont s’enivrer de vin, de bouza (bière) ou de hachiche. Pimientos