Le tabagisme est un fléau, on le sait. Et le cinéma y a contribué, à sa manière, en faisant fumer des stars à l’écran, ce qui a donné envie à leurs admirateurs de les imiter. Mais le cinéma indien a trouvé la parade ! Insérer des messages écrits du genre « Fumer tue » dès qu’un personnage s’en grille une petite. Et même chose pour l’alcool. Un type boit un whisky ? Hop ! « L’abus d’alcool est dangereux pour la santé » apparaît à l’écran. Et pour que le message passe encore mieux, ils insèrent même des images assez répugnantes de poumons encrassés, de foies cirrhosés et de déformations liées aux cancers provoqués par le tabac et l’alcool. Pourquoi pas…
Mais, dans le cas de Avant l’aube, le nouveau film de Balaji K. Kumar, cela quelque chose d’assez incongru, si l’on considère les situations décrites par le scénario, bien plus graves et plus atroces. Un truand qui clope voit immédiatement le message fatidique s’afficher à l’écran. En revanche, un type abattu, une femme tabassée, une séance de torture, là, non, ça passe… Idem pour les sujets au cœur du film : la prostitution, la pédophilie, la violence faite aux femmes indiennes en général. Un petit « maltraiter une femme nuit gravement à la dignité humaine » s’imposerait, non ?
Bon, en même temps, le film est suffisamment explicite. A travers cette histoire, Balaji K. Kumar aborde clairement la question de la condition féminine en Inde, et dénonce une violence banalisée, indigne d’un pays en plein développement.
Il nous entraîne dans le sillage de ses deux personnages féminins principaux, Rekha et Nandhini, fuyant la vindicte de trois groupes d’hommes différents, tous animés des plus mauvaises intentions.
On comprend peu à peu les raisons de cette cavale. Rekha, ancienne prostituée, a été contactée par son ancien proxénète, Singaram, pour trouver une jeune fille à offrir en pâture à un riche homme d’affaires, qui se trouve également être le père de Chinniah, le plus redouté chef de gang de la ville.
Son choix s’est porté sur la jeune Nandhini, une gamine de douze ans encore vierge et innocente, « propriété » d’un autre souteneur.
Mais au moment de jeter la jeune fille dans les griffes du vieux vicieux, elle a éprouvé des remords et, a décidé de fuir avec l’enfant, provoquant le courroux des différentes parties impliquées dans cette passe avortée.
Traquées par les hommes de main de Chinniah, par des flics corrompus, mais aussi par Singaram et Lankan, un détective privé opiniâtre et pourri jusqu’à l’os, les deux femmes n’ont d’autre choix que de s’appuyer l’une sur l’autre.
Avant l’aube peut s’appuyer sur cette structure narrative haletante, menée tambour battant, pour captiver le spectateur. Mais la réussite de ce thriller made in Kollywood tient avant tout sur la densité psychologique des différents protagonistes, tous beaucoup plus complexes qu’il n’y parait de prime abord. Les personnages sont tous pris dans un engrenage de violence qui les dépasse. Ils ont tous un motif valable de s’impliquer dans cette traque. Chinniah pour venger son père et pour solder un vieux traumatisme de jeunesse, Singaram pour sauver sa peau après le fiasco, Lankan pour en tirer un maximum d’argent et s’extirper de sa vie minable. Ils ne font qu’obéir à leur propre logique, leurs propres codes, sans se soucier un seul instant de leurs proies. Rekha elle-même semble hantée par un passé avec lequel elle n’arrive pas à rompre totalement, et se laisse parfois happer par ses zones d’ombre. Finalement, à l’exception de la jeune Nandhini, tous semblent totalement imprévisibles, et cela ne fait qu’accroître le suspense quant à l’issue de cette traque.
Le film de Balaji K. Kumar s’inscrit dans la lignée de films comme Gangs of Wasseypur ou Ugly, qui privilégient les personnages et l’intrigue au folklore habituel des films estampillés Bollywood. Ici, pas de danses endiablées, pas de chansons kitsch, pas de fantaisie grandiloquente. Juste un film âpre et réaliste, qui tient la gageure d’aborder des thèmes difficiles sans jamais verser dans le sensationnalisme ou le sordide.
A la différence de certains films indiens, celui-ci a également le mérite d’être joué de manière tout à fait honorable. Certains seconds rôles en font parfois des tonnes, mais globalement, le casting est à la hauteur des ambitions de cette production. Mention spéciale aux deux héroïnes, Pooja Umashanker et Malavika Manikuttan, impeccables, et à Vinoth Kishan, glaçant dans le rôle du chef de gang énigmatique.
Dommage que la mise en scène s’empêtre parfois dans les méandres du récit, entremêlant parfois maladroitement les flashbacks et le présent. Et dommage d’avoir à infliger au spectateur tous ces messages anti-alcool et anti-tabac pour les nuls, qui finissent par donner envie de s’en griller une tout en sirotant un douze ans d’âge…
Mais ceci n’empêche pas Avant l’aube de constituer une œuvre cinématographique intéressante, témoignant de la belle vitalité d’un cinéma indien bien décidé à exister hors de ses propres sentiers battus.
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Avant l’aube
Vidyum Mun
Réalisateur : Balaji K. Kumar
Avec : Pooja Umashanker, Malavika Manikuttan, Vinoth Kishan, John Vijay, R. Amarendran
Origine : Inde
Genre : thriller non-fumeur
Durée : 2h09
Date de sortie France : 30/04/2014
Note pour ce film :●●●●○○
Contrepoint critique : -
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