UN COUP D’ÉTAT (d'après Maupassant)
On apprenait le désastre de Sedan.
La République était proclamée.
Les Français haletants
Jouaient encore aux soldats enthousiasmés.
Des bonnetiers étaient colonels
Faisant fonction de généraux ;
Des revolvers, des poignards, des opinels
S’étalaient autour de ventres mous et gros ;
De petits bourgeois d’allure pseudo-militaire
Commandaient des bataillons de volontaires
Et juraient comme des charretiers
Pour se donner l’air guerrier.
On exécutait des innocents.
On fusillait les chiens errants.
Chacun se croyait combattant.
Les cafés, remplis de buveurs en dolman,
Voulaient paraître de petites garnisons.
Une extrême agitation
Remuait le bourg de Gerdace.
Deux partis étaient face à face :
Le maire, le vicomte de Valmire,
Légitimiste, rallié à l’Empire,
Venait de voir surgir un adversaire
En la personne du docteur Mézaire,
Gros homme sanguin,
Chef du parti républicain
Dans l’arrondissement,
Vénérable de la loge maçonnique
Du département
Et président des courses hippiques.
Le docteur Mézaire
Avait recruté soixante volontaires
Qui hurlaient : « Vive la patrie ! »
Quand monsieur de Valmire
Se rendait à la mairie.
Le vicomte voyait un défi
Dans cet infernal cri
Et un odieux souvenir
De la grande Révolution.
Un matin, en lisant le journal,
Le docteur, avec un geste d’exaltation,
Vociféra d’une voix triomphale :
-« Vive la République !
Vive la République ! »
La République était proclamée.
La France était sauvée.
Tout en s’habillant,
Il donna à Céleste, sa bonne,
Une série d’ordres urgents :
-« Cours chez le lieutenant Magone
Et chez le sous-lieutenant Picard.
Dis-leur que je les attends
Ici immédiatement.
Fais venir aussi Sénard
Avec son tambour, vite,
Vite ! »
Peu après, devant ses fidèles,
Le docteur annonçait la nouvelle :
-« Messieurs, l’Empereur est en prison.
Le journal annonce la proclamation
De la République. Le curé-doyen
Va faire sonner le tocsin
Afin de rassembler tous les habitants !
Nous devons agir promptement.
Étiemble,
Rassemble
La milice sur la place. C’est compris ?
Nous allons : un, occuper la mairie,
Deux : sommer Valmire de m’en remettre les clés
Trois : l’obliger à me transférer d’emblée
Ses pouvoirs. » Peu après, le médecin,
Sabre en main,
Et à pas lents,
S’approcha de la mairie
Où s’était barricadé l’ennemi
Avec ses trois gardes-chasse.
Soudain le vicomte, plein d’audace,
À la fenêtre se montra.
Le médecin l’apostropha :
-« Vous savez les récents événements.
Ils changent la face du gouvernement.
Veuillez me remettre vos fonctions. »
Le vicomte lui répondit avec onction :
-« Docteur, je suis le maire
Et je resterai le maire
Tant que je n’aurais pas été révoqué
Par un arrêté signé du Préfet. »
Le docteur demanda aussitôt à Mélice
De porter au Préfet de Rouen
Un pli urgent
Dans lequel il exposait la situation,
Offrait ses services,
Présentait ses respects et salutations.
Deux heures après, Mézaire
Ayant fait venir Valmire, lui dit d’un ton fier :
-« M. le vicomte, voici la réponse du Préfet :
Ancien maire révoqué. L’aviser.
Recevrez ultérieurement instructions
Pour le Préfet, S. Mussion. »
Le gentilhomme déclara : -« Je me retire.
Je ne veux pas obéir
À cet odieux gouvernement
Qui usurpe le pouvoir.
Je refuse de devoir
Servir la République un seul instant. »
Le docteur, éperdu d’orgueil, s’écria :
-« Hurrah ! Hurrah !
La République a triomphé.
L’empereur-tyran est tombé.
Le Destin vengeur l’a frappé.
La République ramasse son épée brisée. »