Cette semaine, mon attaché de presse me lâche un coup de fil pour une entrevue à la télé. Dans ma tête ça dit : Super! Je vais faire le plein de nouveaux lecteurs! La pédale au plancher pour parler de littérature et de l'essence qui anime la blogosphère.
— C'est pour une table ronde. Une discussion à propos de la hausse du prix du gaz.
—...
— Qu'est-ce que je dis à la recherchiste de l'émission?
— Que j'n’ai pas de char pour y aller.
N'empêche que ça aurait pu être drôle. Imaginons la scène :
Une animatrice qui carbure
Un journaliste qui a du galon.
Un représentant des pétrolières avec du sans-plomb dans la tête
Un écolo de libre-service
Moi
Après un rapide tour de table arrive mon tour :
Animatrice : « Monsieur Lalonde, chauffeur de taxi, j'imagine que l'augmentation vertigineuse du prix de l'essence vous concerne grandement? »
Moi décontracté : « Ben là présentement, ça m'affecte pas pentoute, je travaille pas.»
Animatrice dubitative : « Euh oui, d'accord, mais de quelle manière pensez-vous que ça peut affecter l'industrie du taxi? »
Moi ayant l'air de réfléchir : « J'pense que mes confrères doivent être pas mal pompé. »
Le monsieur des pétrolières de l'autre côté de la table en profite alors pour échapper un petit gaz nerveux, l'animatrice quelque peu déconcertée a un sourcil qui se soulève. L'écolo de libre-service attend son tour et le journaliste galonné se racle la gorge.
Moi embrayant en seconde : « Sérieusement, je crois mes confrères doivent manger leurs bas et si je peux me permettre j'ai bien hâte de revenir manger les miens avec eux. »
Profitant du silence je passe en troisième et enchaîne : « J'pense que c'est une bonne chose que le prix du gaz augmente. »
Le silence serait total ne serait-ce du gloussement de monsieur sans plomb.
Moi passant en quatrième vitesse : « Non c'est vrai! Si le prix du gaz peut décourager le plus de monde possible d'avoir des chars pis surtout des gros 4X4 qui consomment sans bon sens, ça sera toujours ça de pris. Je crois que de plus en plus de gens vont se mettre à changer leurs habitudes, prendre un peu plus les transports en commun puis un peu plus de taxis. Au bout du compte, j'ai le sentiment qu'on va y gagner. Moins de trafic, plus de clients et pu un maudit chauffeur de taxi qui chiale! Que demander de plus? »
Moi sentant que tout le monde veut que je poursuive passe sur l'overdrive : « Les ressources en pétrole s'amenuisent, on fait même la guerre pour s'en procurer. Ne faut pas s'attendre à ce que les prix baissent. Je sais que les automobilistes en ont ultramarre. Tout le monde est au courant que les pétrolières sont de mèche. Elles contrôlent le prix à la pompe. Mais est-ce aux grosses compagnies qu'il faut s'attaquer ou à nos habitudes en tant que consommateurs? Je vous le demande? »
Animatrice sur le neutre : « Passons à la pause. »
Pendant qu'une publicité de voiture passe sur les ondes, des gens sortent des coulisses pour venir me dire que ça ne va pas du tout! Ce n'est très certainement pas le discours qu'un chauffeur de taxi qui se respecte devrait tenir! Je veux bien m'expliquer, mais monsieur sans plomb et le bobo écolo viennent en même temps prendre ma défense. Pendant que monsieur galon évalue la situation et que l'animatrice replace sa coiffure, j'en profite pour filer côté jardin et pars déjeuner sur l'herbe.