Elle est jeune, simple, accessible, talentueuse, engagée sur l’écolologie, c’est Louise Joor, l’auteure de « Kanopé » qui s’explique sur son très beau premier album
N’oubliez pas de lire notre chronique consacrée à « Kanopé », pour en savoir plus
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J.V. Comment est né le projet ? Comment l’as-tu mené ?
L.J. J’avais envie de parler d’écologie, de la catastrophe de Fukushima mais aussi de raconter une histoire d’amour. Placer l’écologie en toile de fond me paraissait être une manière douce d’aborder le sujet. Aussi je pouvais me concentrer sur les personnages car, au final, c’est eux qui nous guident dans l’histoire.
J’ai repris un personnage que j’avais créé deux années plus tôt et qui me plaisait beaucoup pour faire apparaitre Kanopé, Jean m’est venu assez vite ensuite.
J’ai dessiné très vite des éléments de l’histoire tout en construisant le récit pour que dessin et histoire se répondent toujours.
L’étape du dossier de bande dessinée à présenter aux éditeurs, avec son lot de résumés et de synopsis, est très dure pour moi car je n’y fais pas de la bande dessinée à proprement parlé, je suis obligée d’y séparer le dessin et l’écrit, or la bande dessinée est ce mélange des deux. Je suis donc contente et soulagée quand je passe à l’étape des planches, écrire les dialogues est beaucoup plus naturel pour moi car je les lie directement aux cases et donc au dessin.
L.J. Ca ne me dérange pas d’être seul maitre à bord et de devoir tout gérer, j’aime bien la rapidité que cela me procure. Et puis je ne suis pas vraiment seule, je travaille avec mon compagnon, aussi auteur de BD, Augustin Lebon. On s’entraide toujours sur nos projets dès leur commencement et il y a beaucoup de lui dans « Kanopé ».
Ensuite j’ai toujours pu compter sur les remarques et propositions de mon éditeur, Grégoire Seguin, ainsi que sur celles de quelques amis proches.
Je ne me suis pas du tout sentie seule dans mon travail en fait. (rires)
J.V. Si j’avais à définir ton style, je dirais que Kanopé est simple, accessible, frais… Tu te reconnais dans ces qualités ?
L.J. Oui je pense, surtout concernant la simplicité et l’accessibilité.
Pour moi, une histoire est « simple » quand elle est bien lisible, c’est un des critères les plus importants. Peu importe la qualité du message ou de l’action, si le lecteur ne la comprend pas par manque de lisibilité, ça ne sert à rien. Alors qu’une bonne lisibilité rend tout possible, y compris faire passer un message complexe.
L’accessibilité était aussi un critère important pour Kanopé car je souhaitais que cette histoire rencontre un public le plus large possible sans pour autant me censurer.
Au contraire, je voulais aborder des sujets pas forcément drôles comme la mort, les règles parfois dures qui régissent une forêt, la solitude et la maladie sans pour autant exclure les lecteurs plus jeunes, cet objectif était très important pour moi.
J.V. La sensibilité “écologique” est très présente. C’est une préoccupation qui te tient à coeur ? Tu cherches à sensibiliser les lecteurs par la BD ?
L.J. Oui, tout à fait.
Etant moi-même lectrice, je sais que la BD est un média très agréable pour découvrir des nouvelles choses et je poursuis ce but en essayant de faire découvrir un pan de l’écologie par le biais de Kanopé.
Ici, j’avais envie de faire passer l’idée que l’homme fait partie de son environnement, comme tout autre animal ou plante, mais qu’il a une capacité supplémentaire à ces derniers, qui est d’avoir une vision « globale » du monde. Pour moi, le rôle de l’homme est donc d’utiliser cette capacité afin de mieux comprendre et de protéger ce qui l’entoure. Parce qu’au final, c’est en protégeant notre environnement que nous nous protégeons nous-mêmes.
J.V. Dans la préface, Philippe Buchet laisse entendre que ton héroïne te ressemble beaucoup. C’est d’un point de vue “esthétique” ou plus profond (dans le caractère) ?
L.J. Un peu des deux je crois. D’autres personnes qui me connaissent un peu m’ont dit que Kanopé me ressemblait surtout dans « l’énergie » qu’elle dégage.
Quand on écrit une histoire et qu’en plus, on la dessine. On met forcément de soi dans les personnages et c’est le cas ici aussi. Tous mes personnages ont quelque chose de moi, que ce soit bon ou « mauvais », et Kanopé sans doute plus que les autres car c’est mon héroïne. Après, je ne suis pas capable de faire la moitié de ce qu’elle fait en forêt ! (rires)
J.V. Tu inventes un monde très cohérent. Une forêt transformée par mutation accélérée. Il te fallait rester “à la limite du réalisme”. Tu évites les monstres improbables ?
L.J. Je ne voulais pas que la « maladie » qui règne dans la forêt soit perçue comme « monstrueuse », je voulais que ce soit un élément avec lequel il faille vivre, sans avoir besoin de lui coller l’étiquette de « bonne » ou « mauvaise » chose.
Je suis donc restée à la limite du réalisme plus par un souci de ne pas diaboliser la maladie plutôt que pour rester crédible. La majorité des mutations présentes dans Kanopé sont donc de réelles mutations liées à la radioactivité. J’ai juste pris des libertés concernant le puma, son aspect est dû à une hypertrophie des muscles et non à la radioactivité.
J.V. En regardant ton site internet, j’ai l’impression que tu t’intéresses particulièrement à la “flore”…
Tu fais beaucoup de recherches graphiques ?
L.J. C’est vrai que j’aime particulièrement le végétal. Il y a un livre, « L’éloge de la plante » de Francis Hallé, qui m’a fait réaliser à quel point nos sociétés sous-estiment le végétal et le relègue au rang de « décor » alors que ce sont des organismes fabuleux qui évoluent à leur propre échelle dans l’espace et le temps.
Quand on sait que les arbres peuvent « appeler » la pluie, voyager d’un continent à l’autre ou même repousser leurs adversaires sans bouger, on ne peut qu’être admiratifs.
(Pour plus d’informations et d’émerveillement, je vous conseille le film « Il était une forêt » de Luc Jacquet, sorti récemment)
Pour l’instant, les végétaux que nous détruisons n’ont pas encore trouvé la façon de nous contre-attaquer mais je ne serais pas surprise qu’ils y arrivent un jour si on ne se détruit pas tout seul avant ça. Les végétaux sont des voisins qu’il faut prendre au sérieux.
Mais pardon, je m’égare un peu. (rires)
Pour Kanopé, je me suis procurée des livres sur les jungles ainsi que des documentaires afin de m’imprégner de l’ambiance générale de la jungle. J’ai en effet recopié beaucoup de photos de la flore, comme de la faune. C’était important pour moi de recopier une plante sous plusieurs angles afin de bien comprendre sa structure et pouvoir « jouer » avec ensuite.
J.V. D’une manière générale, j’ai senti un grand plaisir à dessiner la forêt, la nature … C’est vrai ?
L.J. Oui, totalement.
A partir du moment où on considère la forêt et la nature comme des personnages vivants, on prend du plaisir à assembler leurs différents éléments qui racontent déjà une histoire en eux-mêmes.
Une simple feuille décrépite au sol raconte qu’elle est tombée d’un arbre quelques jours plus tôt et qu’elle est sans doute en train de se faire manger par les petits insectes au sol.
J.V. La technologie, qu’on aperçoit avec les gadgets de Jean a l’air aussi assez travaillée. Là encore, tu fais des recherches ?
L.J. Oui beaucoup. La tenue et les accessoires de Jean ont été une des recherches les plus longues car il fallait représenter « l’extérieur » à travers eux.
Ma toute première version n’était pas assez futuriste et, sous les conseils de Wilfrid Lupano (quand je vous dis que je ne suis pas seule), je l’ai retravaillée jusqu’à obtenir le résultat qui se trouve dans l’album. Ca n’a pas été facile jusqu’au moment où mon compagnon m’a soufflé de prendre exemple sur quelque chose que j’aimais, à savoir les organismes vivants, et m’a aiguillé vers les animaux marins. L’aspect un peu « aquatique » de la combinaison de Jean vient donc de là.
J.V. Parlons un peu technique graphique. Ton trait est peu “graissé”. C’est une technique très “ligne claire” ?
L.J. Je travaille juste au crayon, mise en place au crayon fin puis mise au net au crayon un peu gras. J’aime beaucoup la souplesse et la finesse au crayon, c’est l’outil qui me donne le plus de liberté pour travailler les expressions de mes personnages et les détails en général.
Je ne mets pas trop de noir ou d’aplats au crayon car ça alourdit vite mon dessin.
J.V. Par contre, ta mise en couleur sert à détacher les plans ?
L.J. Oui, il y a un gros travail de mise en couleur. Elle participe vraiment à la narration que ce soit pour accentuer la lisibilité en détachant les plans ou pour accompagner les émotions des personnages. Là encore, je n’y ai pas mis trop d’effets pour éviter d’alourdir le tout et d’étouffer le dessin.
J.V. J’ai senti un certain “mysticisme”. J’ai vu dans Le puma et le bison géant des esprits de la forêt, comme dans certains films de Hayao Miyazaki… Tu confirmes ?
L.J. Ah, cela se pourrait. Les films de Hayao Miyazaki font parties de mes plus fortes influences.
Le puma et le bison ont effectivement un statut particulier dans cette histoire pour moi, et j’aime beaucoup quand les personnes qui ont lu Kanopé me donnent leur propre interprétation de ces deux animaux.
Merci pour cette belle interview !
Pour en savoir plus, visitez Voir le site personnel de Louise Joor : louisejoor.blogspot.fr