Chez moi, quand la neige aura fondu, le sol réchauffé sera une terre prometteuse d’abondantes récoltes. L’hiver nous enveloppe d’une écharpe parfois piquante et se dévêtit si lentement qu’il provoque en moi le désir de goûter aux chauds rayons du soleil. Ce calme froid m’endort. Je veux m’éveiller sur la note joyeuse des corbeaux en fête qui croassent à tue-tête.
Le blanc paysage qu’est le lac Saint-Jean en hiver est grandiose. Mais je suis légèrement impatiente et j’ai hâte que la douce brise du printemps me cajole. Heureuse à l’idée de percevoir un ruissellement dans la rivière dont le lit se dessine. Tout ce qui m’entoure me semble gelé, même si je sais que la vie habite cette nature endormie. J’ai la fièvre du printemps.
Récemment, j’ai pris plaisir à observer certains animaux sauvages dans leur habitat. C’est un art de vivre en cette froide saison. Tout ce qui vit ici, de la faune en passant par la flore et par l’humain, s’acclimate et possède les armes pour vaincre le froid mordant. Les arbres ont des moyens de protection : je pense, entre autres, à cette cire épaisse qui recouvre les aiguilles et qui donne leur odeur aux conifères. Les espèces de plantes moins résistantes ne s’installent tout simplement pas dans notre coin de pays. Le même principe s’établit chez les espèces animales. C’est la loi de la jungle… en forêt boréale.
Sur ma terre à bois, l’épais manteau de neige, qui recouvre les plantes herbacées, devient un terrain de jeu pour plusieurs bêtes à fourrure.
Le lièvre d’Amérique me charme à tout coup par les variétés de teintes que les mues bisannuelles donnent à son pelage. Sa fourrure blanc ivoire se confond à la neige, tandis que l’été sa fourrure brune se fond au couvert végétal et aux branchages. Sa vivacité d’esprit est remarquable et son regard mystérieux. Ses bonds rapides et imprévus. Il trace des sentiers qu’il emprunte régulièrement, tout en se nourrissant de tendres brindilles. Quand j’aperçois un lièvre affolé dans la poudrerie, en quête de nourriture, je suis certaine qu’il a hâte au printemps, tout comme moi, pour se régaler de savoureuses petites fraises des champs.
Il me suffit de marcher le temps de trois chansons que je fredonne, pour atteindre mon petit lac. Une famille de castors y loge dans une hutte. L’hiver, la neige dissimule l’abri et une cheminée de vapeur chaude m’indique leur présence à l’intérieur. Ils dégustent leurs réserves de branches non écorcées de bouleaux et d’aulnes rugueux. Enlacés les uns aux autres, ils rêvassent aux pousses tendres des nénuphars qu’amènera la prochaine saison.
Le manque de lumière à la fin de l’hiver m’incite à mieux tolérer les pluies du printemps. Vivre en ce pays nordique fait de moi un témoin privilégié des réactions de la nature, dont sa fougue au réveil.
Virginie Tanguay
Notice biographique
Virginie Tanguay vit à Roberval, à proximité du lac Saint-Jean. Elle peint depuis une vingtaine d’années. Elle est