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Salle 5 - vitrine 6, côté seine : 5. de la laitue dans le potager des dieux

Publié le 29 avril 2014 par Rl1948

 

     Et Isis, portant la semence d'Horus, se rendit, au temps du matin, au jardin de Seth, et elle dit au jardinier de Seth : "De quelle sorte de légumes Seth mange-t-il ici avec toi ?"

Et le jardinier lui répondit : "Il ne mange d'aucune sorte de légumes ici avec moi, sauf des laitues."

Et Isis répandit sur elles la semence d'Horus.

Alors Seth revint selon sa coutume de chaque jour, et il mangea les laitues qu'il avait l'habitude de manger.

Et aussitôt, il conçut de la semence d'Horus.

Les Aventures d'Horus et de Seth

dans Gustave LEFEBVRE

Romans et contes égyptiens de l'époque pharaonique

Paris, Librairie d'Amérique et d'Orient Adrien Maisonneuve,

page 196 de mon édition de 1988

     Après en avoir découvert deux modèles stylisés, en bois, (AF 8965 et, à l'avant plan, E 14113)

Laitues-sur-etagere.jpg

disposés sur la petite étagère en verre ici devant nous dans la vitrine 6, côté Seine, de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre,nous avons, la semaine dernière, amis visiteurs, évoqué la laitue, une des salades fort appréciées des Égyptiens - même si, dans notre vocabulaire contemporain, nous lui attribuons la dénomination de "romaine".

     Il est toutefois évident que sa représentation, récurrente dans les tombes comme dans certains monuments pharaoniques ou cultuels, n'est pas inhérente aux seuls rôles alimentaire et thérapeutique dans lesquels je l'ai, en un premier temps, volontairement circonscrite.

     Aussi, en rapport avec l'exergue de ce matin, - un extrait du conte néo-égyptien d'Horus et de Seth consigné sur le Papyrus Chester Beatty I (Collection privée, Londres) -, il m'agréerait de vous emmener dans le monde extrêmement complexe de la mythologie égyptienne aux fins d'avancer quelque peu sur le chemin de l'appréhension de ce légume dans une perspective phyto-religieuse.

     Il était une fois deux frères, Osiris, proclamé souverain du ciel et de la terre par son père, et Seth, éminemment jaloux de la royauté divine accordée à son aîné et forcé de se contenter d'être maître du désert aride. Tout les opposait donc, au point de susciter dans l'esprit de Seth l'idée d'attenter à la personne d'Osiris, en vue de prendre sa place sur le trône d'Égypte, contestant ainsi la légitimité de cet héritage qui revenait de droit à Horus, fils d'Isis.

     Un des épisodes de leur querelle relate l'acte abject de l'oncle qui, après une soirée où tous deux, un temps réconciliés par la volonté de Rê, avaient bien festoyé, tenta, probablement en guise de faveur postprandiale, de violer son neveu pour jeter sur lui l'opprobre de l'Assemblée des dieux prêts à désigner le successeur d'Osiris. 

     Afin de venger Horus, mais aussi de lui assurer le pouvoir suprême, Isis ourdit un plan qui lui permit de recueillir du sperme de son fils qu'elle alla répandre sur les plants de laitues dans le potager de Seth : c'est ce passage que vous avez lu à l'entame de notre présent rendez-vous.

     La suite, vous vous en doutez, amis visiteurs, devait, après que fut acceptée sa défense par le Tribunal des dieux, accorder l'avantage au jeune homme sur son oncle abuseur.

     

     A Edfou, temple d'époque gréco-romaine consacré à Horus, une inscription entérine l'événement :

    Ô Horus, prends la belle plante sur laquelle tu as éjaculé ta semence, elle s'est dissimulée en elle.

Seth, l'efféminé, l'a avalée, il en a été fécondé, il a accouché d'un fils mâle qui est sorti de son front sous la forme d'un singe lorsque tu as été légitimé par l'Assemblée divine.

     

      Cette laitue, et cela depuis l'Ancien Empire, fut très tôt associée à Min, de Coptos, une des premières divinités, avec celles de la famille osirienne, à être glorifiées par les Égyptiens avant l'époque dynastique, ainsi qu'à Amon-Min, de Thèbes, dès le Nouvel Empire : tous deux étaient figurés ithyphalliques, comprenez que, du maillot collant qui les revêt entièrement, se profile un sexe triomphant que, parfois, ils tiennent d'une main.

     A Edfou, précisément, une salle entière, dénommée Chapelle de Min par les égyptologues, lui est dédiée. Et parmi les offrandes que je qualifierais de plus "classiques" : pain, bière, vin, etc., vous remarquerez deux produits qui lui sont spécifiques : le miel et la laitue (deuxième registre de la paroi ouest).

     Là, le souverain Ptolémée qui lui présente le végétal fait, au sein même de ses propos, allusion à l'épilogue de la querelle entre Horus et Seth : cela se comprend aisément quand on sait que depuis le Moyen Empire, Min était assimilé à Horus et dénommé pour l'occasion Min-Horus (ou Horus-Min).  

     Si les deux plus anciennes illustrations de ce dieu en érection devant des laitues remontent à la VIème dynastie, - gravure sur un rocher du Ouadi Hammamat et stèle-décret  de Coptos -, je voudrais aujourd'hui vous remettre en mémoire, amis visiteurs, celles que vous avez inévitablement rencontrées lors de votre dernier séjour à Karnak dans la Chapelle blanche de Sésostris Ier

ChapelleBlanche.jpg

dont l'anastylose constitue une des merveilles du Musée de plein air : sur ses nombreux piliers, vous n'avez pu ignorer les Amon-Min ithyphalliques qui se répondent d'une face à l'autre, recevant l'une quelconque oblation du souverain,

Piliers-Chapelle-blanche---Sonia.jpg

et dans cette autre Chapelle, dite "rouge" celle-là, en raison de la couleur de la pierre quartzite des assises du soubassement intérieur, ayant appartenu à la reine Hatshepsout. 

PHOTO-ANOUKET---Chapelle-rouge.jpg

     Dans nombre de ces scènes, que voyez-vous exactement ?

     Certes, en priorité, le dieu de la fonction génératrice et reproductrice, debout sur un socle, devant trois laitues posées sur ce que vous pourriez considérer comme une sorte de pot décoré d'un motif à neuf carrés.

    Mais vous n'ignorez plus, j'espère, depuis le temps que vous me lisez, qu'il faut "décoder" l'image que les artistes égyptiens nous ont laissée, pour dépasser la première vision qu'elle fournit et ainsi accéder à la notion réelle qu'ils souhaitaient faire comprendre.

     Aussi, comme précédemment promis, j'aimerais, ici et maintenant, vous décrypter ce type de scène récurrente dans l'art monumental égyptien. 

     Que ce soit avec les trois rangées de trois carrés que vous aurez remarquées dans les documents ci-dessus ou avec celles de plus nombreuses cases du jardin dans le sanctuaire d'Amon au temple de Deir el-Bahari dont je vous ai donné à voir le dessin mardi dernier, vous êtes en présence d'une réduction schématique d'un potager figuré en plan : chacun des espaces quadrangulaires définit un compartiment d'irrigation légèrement creusé et séparé des autres par de petites levées de terre que l'on ouvrait pour que l'eau puisse se répandre de l'un à l'autre.

     La notion de pluriel, dans l'écriture hiéroglyphique égyptienne, s'indiquant souvent par la triple répétition d'un signe, il vous faut comprendre qu'ici, la gravure de trois fois trois carrés signifie que les plantations d'Amon-Min, avec cette multiplicité de bassins, bénéficiaient d'une surface hors du commun.

     Quant aux trois plantes surmontant la composition, elles ressortissent au même procédé de notification de la pluralité, révélant de la sorte que le dieu disposait de laitues en quantités considérables.

     Mais pourquoi donc avaient-elles personnellement tant besoin, ces divinités ithyphalliques, d'une production végétale aussi substantielle ?

     Parce que j'ai compris que certains d'entre vous s'impatientent quelque peu, c'est ce que je me propose d'enfin vous révéler, amis visiteurs, lors de notre prochaine rencontre, le mardi 6 mai

     (Immense merci à ceux de mes amis du Forum qui, suite à une requête, m'ont offert leurs documents photographiques. Et plus particulièrement aujourd'hui : Anouket, pour la Chapelle d'Hatshepsout et Nefertiyi, pour celle de Sésostris Ier.)

BIBLIOGRAPHIE

CAUVILLE Sylvie

Essai sur la théologie du temple d'Horus à Edfou, Volume I, Le Caire, I.F.A.O., 1987, p. 117. 

L'offrande aux dieux dans le temple égyptien,  Peeters, 2011, pp. 97-8.

GAUTHIER Henri

Les fêtes du dieu Min, Le Caire, I.F.A.O., 1931, pp. 161-72 ; p. 286.

GUILHOU Nadine/PEYRÉ Janice

La mythologie égyptienne, Alleur, Nouvelles Éditions Marabout, 2011, pp. 114-6.

LACAU Pierre/CHEVRIER Henri

Une chapelle de Sésostis Ier à Karnak, Le Caire, I.F.A.O., Volume I. Texte, 1956, pp. 86-91 ; Volume II. Planches, 1969, pl. 23, scène 23. 

Une chapelle d'Hatshepsout à Karnak, Le Caire, I.F.A.O., Volume I. Texte, 1977, pp. 35-6 et 309-10 ; Volume II. Planches, 1977, pl. 18, Bloc 143. 

QUAEGEBEUR Jan

Les quatre dieux Min, dans VERHOEVEN U./GRAEFE E., Eds., Religion und Philosophie im Alten Ägypten. Festgabe für Philippe Derchain zu seinem 65. Beburstag am 24. Juli 1991, OLA 39, Louvain, Peeters, 1991, p. 256.


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