Trois, dont deux sont en plus en noir et blanc... La terreur des parents, le plaisir des enfants.
Ils nous viennent tous du même éditeur suisse et sont formidables, chacun dans leur genre.
Il s'agit de "Bimbi", d'Albertine (La joie de lire, collection "Hors norme", 108 pages),
de "Diapason", de Laëtitia Devernay (La joie de lire, 68 pages)
et de "Au pays des lignes", de Victor Hussenot (La Joie de lire, collection "Somnambule", 40 pages).
"Bimbi" est un grand et épais format aux coins arrondis qu'Albertine, auteure-illustratrice suisse bien connue pour sa série Marta, signe en solo, une fois n'est pas coutume. On n'y retrouve pas ses habituelles couleurs toniques, mais une succession de dessins au crayon noir, sobres, expressifs. Simplement beaux. En couverture, un garçonnet à l’œil immense s'abrite derrière la jupe claire d'une adulte coupée à mi-corps, sa maman peut-être. Quelques touches de noir dans un océan de lait.
Sur le fond blanc crème des pages s'éparpillent des dessins en noir judicieusement placés, croquis sur le vif de dizaines de "bambini", souvenirs de scènes d'enfance arrêtées dans le temps, tellement explicites qu'elles n'ont pas besoin de texte.
On y voit des garçons et des filles dans la vie de tous les jours, entre eux ou avec des adultes. Albertine pointe les moments de bonheur et aussi les instants plus compliqués, les petits ou les grands drames de la vie. Pas d'états d'âme, mais des instantanés issus de souvenirs, qui en rappelleront sûrement aux lecteurs de ce très bon album, peut-être déconcertant au premier abord. Le château de sable, la poupée, les cachotteries, les jalousies, la glace qui tombe par terre, les cumulets fous, les séances de grimaces... toute l'enfance débarque dans ces superbes pages.
Les "Bambini" sont grands, petits, gros ou minces. Des garçons et des filles, debout, assis ou accroupis (la position de l'enfance), déguisés ou pas, pressés ou pas, parfois avec leur doudou. Heureux avec leurs parents, ou malheureux. Guettant ou non la compagnie des adultes. A chacun de repérer les images qui lui parlent le plus. De les laisser résonner. Et de tendre la perche aux sentiments et aux émotions qui s'abritent derrière.
Trois pages de "Bimbi". (c) La joie de lire.
Dans "Diapason", mention "Opera Prima" à la Foire du livre pour enfants de Bologne 2010, la Française Laëtitia Devernay propose une ode à deux temps, la musique et la nature. Déjà, les premières pages de garde ressemblent à des portées tracées à la main mais placées verticalement.
On comprend bien vite qu'elles annoncent les lignes dans l'écorce d'immenses troncs d'arbre. S'approche de la forêt une silhouette dont on ne distingue d'abord que le pied surmonté d'un pantalon rayé. Que de lignes artistement déposées.
C'est un chef d'orchestre qui admire les arbres feuillus autour de lui. Vite, il grimpe au sommet du plus élevé d'entre eux. Baguette à la main, il prend son inspiration comme s'il prenait son envol.
Le chef d'orchestre de "Diapason". (c) La joie de lire.
Ce sont les feuilles des arbres qui vont s'envoler, se transformant en oiseaux blancs et noirs, organisant de nouveaux paysages comme autant de mouvements de musique.
Difficile de ne pas entendre les notes silencieuses qui s'échappent des pages, savamment maîtrisées par le minuscule bonhomme en noir qui, en finale, salue profondément les arbres dénudés.
Les mouvements musicaux symbolisés par les oiseaux.
Et c'est quand il redescend de son perchoir pour poursuivre sa mission d'amoureux de la musique et de la nature que les feuilles reviennent dans leurs arbres respectifs. Sauf qu'un nouveau se met à pousser grâce au chef d'orchestre...
Ce splendide album tout en hauteur a été réalisé à l'encre de Chine. Sa poésie et son originalité invitent à la rêverie. Paru en 2010, sous la forme d'un leporel, il reparaît cette année sous une nouvelle couverture.
"Au pays des lignes" est un des deux titres qui inaugure la nouvelle version de la collection "Somnambule" de la maison d'édition genevoise: couverture souple et format allégé.
C'est le troisième ouvrage de Victor Hussenot, Français également..
A le voir, on peut désormais assurer qu'un bic bleu et un bic rouge suffisent pour créer un album sans parole (sauf deux, trois petits mots de rien du tout).
Quelques lignes droites ici, quelques hachures là, quelques courbes encore, des zig-zags et des petits moutons, et voilà que naît tout en paysage en deux couleurs.
Première page de l'album, le petit garçon y est en bleu, la petite fille en rouge.
Au milieu, un petit garçon en bleu et une petite fille en rouge qui vont finir par se rencontrer, faire connaissance, tomber amoureux. Leur histoire se poursuit dans d'incroyables paysages, réels ou jouant sur les tracés des lignes jusqu'au moment où apparaît un terrifiant monstre jaune.
L'arrivée en fanfare de la couleur jaune. (c) La joie de lire.
Le monstre jaune maîtrisé, les aventures dans cette drôle de nature des deux enfants reprendront de plus belle. Mais ce sera en trois couleurs désormais, sans compter les mélanges...On va suivre les désormais trois protagonistes sur terre, dans les arbres et dans l'eau avant qu'ils ne finissent par rentrer chacun chez eux, le cœur plus ou moins lourd.
Incroyable comme le graphisme minimaliste de Victor Hussenot est capable d'egendrer une histoire aussi forte. "Au pays des lignes" est à regarder de près dans les moindres détails.Et même en filigrane.