Valls est-il populaire parce qu’il n’est pas de gauche ?

Publié le 28 avril 2014 par Cahier

Gouverner au centre, associant droite et gauche ? Bayrou en rêvait, Valls en prend le chemin. Les états-majors parisiens, font certes mine de s’opposer au camp adverse. Mais les bases électorales ne les suivent plus. Le socialiste Manuel Valls est ainsi apprécié par les sympathisants UMP.

Valls incarne l’effondrement du socialisme traditionnel

Les batailles idéologiques du début des années 1980 appartiennent désormais à l’histoire. L’heure est au dépassement du clivage gauche-droite. La contrainte économique, toujours plus pesante, et la réglementation européenne obligent les partis de gouvernement, qu’ils soient de droite ou de gauche, à mener des politiques économiques très proches. Pragmatique, le gouvernement Fillon utilisait à plein régime les emplois aidés et avait initié le grand emprunt pour amortir les effets de la crise. La gauche s’était jadis convertie aux privatisations, elle se fait désormais le chantre de la politique de l’offre et de la compétitivité des entreprises. Dès lors, ne restent que les sujets sociétaux pour cliver. Mais Manuel Valls, en héritier de Clemenceau, se veut le héraut de l’ordre et tient des propos d’une grande fermeté sur l’immigration. Valls avait déjà hésité à entrer au gouvernement sous Nicolas Sarkozy et il tient presque aujourd’hui un discours que pourrait tenir un leader l’UMP. Les Français ne s’y trompent pas : seuls 27% d’entre eux positionnent Manuel Valls à gauche, les autres le plaçant ni à droite ni à gauche (39%), au centre (26%), voire à droite (17%).

En dépit de son discours droitier, les électeurs socialistes le suivent

Le Premier ministre est, parmi l’ensemble des premiers ministres nommé en cours de mandature, le plus populaire depuis le début de la Vème République (58%). Comment l’expliquer ? D’abord par le franc soutien des sympathisants socialistes (78%) – un soutien dont François Hollande ne bénéficie, lui, que partiellement (48%). Manuel Valls a pourtant adopté une position radicale sur les comptes publics, faisant de leur rééquilibrage une priorité, au détriment des transferts sociaux, qui comblent pourtant les inégalités. Une partie des députés PS ont brandi leur menace de fronder, mais la base socialiste, elle, tient bon : elle est très majoritairement derrière Valls (79%). C’est fort de ce soutien populaire qu’il peut engager un rapport de force favorable avec les parlementaires socialistes.

La popularité de Valls au centre et à droite

La popularité du Premier ministre n’est – et il s’agit de sa force – pas restreinte aux socialistes : elle déborde de son camp, se déployant très largement au centre (67% au Modem) et même à droite (58% à l’UMP). Les partisans de l’ancien parti sarkozyste, échaudés par la défaite en 2012, étaient viscéralement opposés à la politique socialiste depuis l’arrivée de François Hollande à l’Elysée. Néanmoins, le Premier ministre ayant annoncé une feuille de route que n’aurait pas renié un gouvernement de droite, comment les électeurs UMP pourrait-il en penser du mal ? Situation assez inédite : les sympathisants de droite approuvent davantage encore que ceux de gauche les mesures  annoncées par le gouvernement afin de faire des économies : réduction du nombre de fonctionnaires (79%), gel des prestations sociales (56%) etc. Concrètement, seul un tiers des sympathisants UMP estiment que Manuel Valls est de gauche. Evidemment, le Front de gauche ne trouve pas son compte dans le positionnement du Premier ministre : le parti de Mélenchon n’a jamais semblé plus éloigné des socialistes ; avec ceux du FN (43%), ses sympathisants (42%) sont les seuls à ne pas porter une opinion majoritairement favorable à Manuel Valls.

Cinq leçons à tirer de cette popularité

1) La gauche dispose de davantage de latitude que la droite pour mettre en place une politique d’austérité. Si la droite l’avait initiée, elle aurait immanquablement essuyé les foudres d’une opposition de gauche qui l’aurait sans nul doute accusée de mettre en péril l’état-providence. Une tempête politique aurait éclaté et les rues auraient été prises d’assaut. Le gouvernement ayant aujourd’hui rapproché son discours d’une ligne prônée par la droite, l’opposition fait preuve, au contraire, d’une certaine retenue pour la critiquer.

2) Il est possible d’annoncer au peuple français des lendemains difficiles et demeurer populaire : Manuel Valls ne cache pas l’amertume de la potion qu’il compte administrer au pays et n’en demeure pas moins apprécié par une majorité de Français. Tout l’enjeu réside dans la fixation d’un cap clair aux Français, qui pensent, dans leur immense majorité, qu’on « a besoin d’un vrai chef » (84%). Si l’austérité est comprise et équitablement répartie, les Français sont donc prêts à y consentir.

3) François Bayrou avait peut-être raison avant tout le monde : la bipolarité droite – gauche n’étant – rappelons-le !- pas inscrite dans la constitution de la Vème République, elle peut être transcendée. Les Français, davantage pragmatiques qu’idéologiques, sont très détachés des partis politiques. Aussi, certaines personnalités peuvent rompre avec les clivages traditionnels. Bientôt, l’adhésion des sympathisants de droite se concrétisera peut-être par des alliances politiques, voire des gouvernements communs entre partis de droite et de gauche. 

4) Notre paysage politique est peut-être en voie de recomposition complète. La ligne politique du PS est aujourd’hui infiniment plus proche du centre et même de l’UMP que du Front de gauche. L’hommage du Premier ministre rendu à Jean-Louis Borloo lors de son discours de politique général pouvait être perçu tel un appel du pied au camp adverse. A l’horizon pointe une possible reconfiguration politique : le gouvernement rassemblant les sociaux-démocrates et la droite modérée, menant une politique centriste. Mais jamais la frange la plus dure de l’UMP ne pourra y adhérer, les questions sociétales représentant pour elle un obstacle insurmontable.

5) Qui dit gouvernement au centre ne signifie pas union sacrée.  Un gouvernement d’union des socialistes et du centre droit renforcerait probablement le Front national, donnant un crédit certain à sa dénonciation de système « UMPS ». Le FN pourrait alors satelliser les résidus de la droite qui voguent déjà depuis plusieurs années vers une droite toujours plus décomplexée. Le système politique tournerait autour de trois pôles : l’extrême gauche, l’extrême droite et « l’extrême centre ». Ce ménage à trois pourrait vite devenir infernal, l’extrême droite pouvant compter sur une force d’attraction auprès des catégories populaires, premières touchées par les politiques de rigueur.

Aussi minces les différences idéologiques entre l’UMP et le PS soient-elles, le jeu consistant à s’opposer, souvent plus théâtral que de fond, permet d’alimenter le débat afin d’éviter de donner au Front national et au Front de gauche le rôle d’uniques réels opposants.

Article paru sur lexpress.fr