"Vous croisez à deux, trois reprises la même personne. Et si vous ne lui adressez pas la parole, alors tant pis pour vous." J'avais lu quelques romans de Modiano il y a quelques années: Accident Nocturne et Dans le Café de la jeunesse perdue. Je n'avais été ni déçue ni emballée. L'été dernier, j'ai découvert LE roman qui m'a touchée: Dora Bruder de l'auteur susnommé.Il faut lire cette histoire! Elle et sublime! Du coup, j'ai voulu réitérer mon expérience modianienne. J'ai lu dernièrement L'horizon. Il y a toujours ce rapport à la mémoire qui hante les personnages chez Modiano.C'est un roman qui est magnifique, très touchant, très humain. "Je ne sais presque rien de ces gens, pensa Bosmans. Et pourtant, les rares souvenirs qu'il me reste d'eux sont assez précis. De brèves rencontres où le hasard et la vacuité jouent un rôle plus grand qu'à d'autres âges de votre vie, des rencontres sans avenir, comme dans un train de nuit.
Comme dans les romans de Philippe Delerm, les personnages sont toujours enclins à une certaine mélancolie, s'enivrent de souvenirs et de nostalgie car en général la mémoire est une denrée rare chez eux. Souvent amnésiques, souvent torturés, les personnages sont généralement enveloppés d'un voile mystérieux qui aiguise la curiosité des lecteurs. C'est l'histoire d'un homme: Bosmans, qui part à la recherche d'une femme, de ses souvenirs. Sa quête mettra ainsi en valeur la personne qu'il était et celui qu'il est devenu. Au hasard d'histoires de destins croisées, on va avoir de façon symétrique le portrait et la "biographie" du personnage féminin: Margaret Le Coz Cette double histoire ne se conjugue qu'au passé dans la mesure où le moment présent ne concerne que cet homme seul, nostalgique de sa vie passée dont certains moments lacunaires sont dus à une mémoire effritée qu'il tente de reconstruire.
"Il n'oubliait jamais le nom des rues et les numéros des immeubles. C'était sa manière à lui de lutter contre l'indifférence et l'anonymat des grandes villes, et peut-être aussi contre les incertitudes de la vie." C'est l'histoire aussi de destins qui se croisent -comme je l'ai déjà dit-, mais aussi de rencontres marquantes et parfois de rendez-vous manqués. "Bosmans avait lu quelque part qu'une première rencontre entre deux personnes est comme une blessure légère que chacun ressent et qui le réveille de sa solitude et de sa torpeur. Plus tard, quand il pensait à sa première rencontre avec Margaret Le Coz, il se disait qu'elle n'aurait pas pu se produire autrement: là, dans cette bouche de métro, projetés l'un contre l'autre. Et dire qu'un autre soir, au même endroit, ils auraient descendu le même escalier, dans la même foule et pris la même rame sans se voir... Mais était-ce vraiment sûr?" Au fil des pages, on en apprend plus sur ces deux-là et notamment sur leur passé individuel et leur passé commun. Chaque morceau du puzzle tend à expliquer leurs phobies, leurs angoisses, ces blessures qui les ont cabossés et ces fêlures qui les ont réunis. Lui est hanté par sa mère -une excentrique aux cheveux rouges qui lui réclame de l'argent et le harcèle depuis qu'il est jeune- et son beau-père qui le terrorise encore et toujours. Margaret, quant à elle, est tétanisée par un homme qui la suit, la harcèle depuis des années. Leurs peurs ainsi mêlées mais tenues secrètes les rassemblent et leur complicité les rassure face à cette adversité et aux démons qui les hantent. "Tout ce que l'on vit au jour le jour est marqué par les incertitudes du présent. Par exemple, à chaque coin de rue, elle craignait de tomber sur Boyaval, et Bosmans, sur le couple inquiétant qui le poursuivait [...] Mais de loin, avec la distance des années, les incertitudes et les appréhensions que vous viviez au présent se sont effacées, comme les brouillages qui vous empêchaient d'entendre à la radio une musique cristalline."Qui dit cristalline dit... Ce chanteur! La peur que les fantômes du passé reviennent pour tout détruire les anime. Ils sont sur ce fil prêt à se rompre sous leurs pas. Ce sont des personnages ancrés dans un présent et surtout dans la fragilité de l'instant puisque c'est peut-être le dernier moment de bien-être avant le drame fatal sous-jacent qui se trame et qui peut subvenir à tout moment.
"Au moins avec le doute, il demeure encore une forme d'espoir, une ligne de fuite vers l'horizon. On se dit que le temps n'a peut-être pas achevé son travail de destruction et qu'il y aura encore des rendez-vous."
C'est très poétique. Le texte montre la délicatesse des sentiments d'êtres humains authentiques, pudiques qui se retrouvent face à des situations où la décision s'impose à eux: forcer le destin ou le fuir? Résister à l'adversité ou s'y opposer? Partir ou rester? (comme dirait Calogero) En plus de dilemmes existentiels que vise à montrer ce texte, il y a une juste et vraie réflexion sur les rapports humains. Mais aussi sur la --> solitude.<--